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DEUXIÈME APPENDICE

Oh ! quand nous descendons au fond de notre cœur,
Combien de doux chemins à travers nos pensées,
De recoins parfumés où gazouillent en chœur
Les vivants souvenirs, voix des choses passées !

Comme nous voudrions, ne fût-ce qu’un moment,
Revenir en arrière et, frissonnants d’ivresse,
Parcourir de nouveau le méandre charmant
Que creuse en s’écoulant dans nos cœurs la jeunesse !

Mais non, notre passé se ferme pour toujours,
Je sens que je deviens étranger à ma vie ;
Lorsque je dis encor : — mes plaisirs, mes amours,
Mes douleurs, — puis-je ainsi parler sans ironie ?

Que d’impuissance éclate en ce mot tout humain !
Se souvenir ! — se voir lentement disparaître,
Sentir vibrer toujours comme l’écho lointain
D’une vie à laquelle on ne peut plus renaître !

Tout ce monde déjà perdu que j’ai peuplé
Avec mon âme même au hasard dispersée,
Avec l’espoir joyeux de mon cœur envolé,
En vain j’y veux encor attacher ma pensée :
Tout par degrés s’altère en ce mouvant tableau.
Je m’échappe à moi-même ! avec effort je tente
De renouer les fils de ce doux écheveau
Qui fut ma vie ; hélas ! je sens ma main tremblante
Se perdre en ce passé que je voulais fouiller.
Quand, après un long temps, je revois le visage