Page:Guyau - La Genèse de l’idée de temps.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

ple du temps qu’on a passé à l’école, est bien plus superficielle et bien plus fragmentaire que celle d’une période égale, mais récente. La perspective dans le temps passé correspond donc à une perspective dans l’espace où la quantité d’erreur apparente due au raccourci croîtrait avec la distance[1].

C’est d’une manière analogue que s’explique, selon nous, le fait souvent cité des années qui paraissent si longues dans la jeunesse et si courtes dans la vieillesse. La jeunesse est impatiente en ses désirs ; elle voudrait dévorer le temps, et le temps se traîne. De plus, les impressions de la jeunesse sont vives, neuves et nombreuses ; les années sont donc remplies, différenciées de mille manières, et le jeune homme revoit l’année écoulée sous la forme d’une longue série de scènes dans l’espace. Le fond du théâtre recule alors dans le lointain, derrière tous les décors changeants qui se succèdent comme des changements à vue : on sait que, dans les théâtres, une file de décors est au-dessous de la scène, prête à monter devant le spectateur. Ces décors, ce sont les tableaux de notre passé qui reparaissent ; il y en a de plus effacés, de plus estompés

  1. James Sully. Les Illusions, p. 179.