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la genèse des religions.

Mais qu’il se trompe et brise la chaîne des théorèmes qui le liait, aussitôt le voilà libre : son idée fausse va se développer d’autant plus aisément qu’elle se développera en dehors de la réalité : il se trouvera bientôt en pleine métaphysique. C’est qu’on peut arriver à la métaphysique de doux façons, soit en se trompant tout de suite et en élargissant son erreur, soit en suivant la chaîne des vérités connues jusqu’au point où elle se perd dans la nuit et en cherchant à aller encore au delà par l’hypothèse : dans le premier cas, la métaphysique n’est qu’un simple développement logique de l’erreur, qui gagne en extension ce qu’elle perd de réalité, elle est une illégitime négation de la science ; dans le second cas, elle est un prolongement hypothétique de la vérité, une sorte de légitime supplément de la science.

Il est donc venu un moment où la physique religieuse s’est fondue en métaphysique, où les dieux ont reculé de phénomène en phénomène jusque dans une sphère supra-sensible, où le ciel s’est séparé de la terre ; mais, en somme, ce qui caractérise encore aujourd’hui la religion, c’est le mélange incohérent de physique et de métaphysique, de croyances anthropomorphiques ou sociomorphiques sur la nature et sur l’au delà de la nature. Le raisonnement qui fait le fond de toute religion primitive est le raisonnement par analogie, c’est-à-dire le procédé logique le plus vague et le moins sûr : plus tard seulement cet amas d’analogies naïves essaye de se constituer en système et on a recours à des tentatives d’inductions ou de déductions régulières.


L’homme, nous l’avons vu, commence par établir une société entre lui et tous les objets de la nature, animaux, plantes, minéraux mêmes, auxquels il prête une vie semblable à la sienne : il se croit avec eux en communication de volontés et d’intentions, comme avec les autres hommes et avec les animaux. Mais, en projetant ainsi dans les objets extérieurs quelque chose de semblable à sa propre vie, à sa propre volonté et à ses rapports sociaux, il ne songe pas d’abord à séparer le principe animateur du corps même qu’il anime, car il n’a point fait encore pour lui-même cette séparation. Le premier moment de la métaphysique religieuse est donc, non pas une sorte de monisme vague relativement au principe divin, à la divinité, τὸ θεὶον, comme le prétendent MM. Müller et de Hartmann, mais