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la genèse des religions.

erreurs ou à des vérités incomplètes, faire corps avec elles, puis se subordonner peu à peu tout le reste. Les premières religions furent des superstitions systématisées et organisées. Nous ajouterons que, pour nous, la superstition consiste dans une induction scientifique mal menée, dans un effort infructueux de la raison ; nous ne voudrions pas qu’on entendît par là la simple fantaisie de l’imagination et qu’on crût que, selon nous, les religions ont leur principe dans une sorte de jeu de l’esprit. Combien de fois a-t-on attribué la naissance des religions à un prétendu besoin du merveilleux, de l’extraordinaire, qui saisirait les peuples jeunes comme les enfants ! Raison bien artificielle d’une tendance plus naturelle et plus profonde. À vrai dire, ce que les peuples primitifs ont cherché en imaginant les diverses religions, c’était déjà une explication, et l’explication la moins étonnante, la plus conforme à leur intelligence encore grossière, la plus rationnelle pour eux. Il était infiniment moins merveilleux pour un ancien de supposer le tonnerre lancé par la main d’Indra ou de Jupiter que de le croire produit par une certaine force appelée électricité ; le mythe était une explication beaucoup plus satisfaisante : c’était ce qu’on pouvait trouver de plus plausible, étant donné le milieu intellectuel d’alors. Si donc la science consiste à lier les choses entre elles, on peut dire que Jupiter ou Jéhovah étaient des essais de conceptions scientifiques. C’est maintenant qu’ils ne le sont plus, parce qu’on a découvert des lois naturelles et régulières qui rendent leur action inutile. Quand une besogne se fait toute seule, on renvoie l’employé par qui on la faisait faire ; mais il faut se garder de dire qu’il ne servait à rien auparavant, qu’il était là par caprice ou par faveur. Si nos dieux ne semblent plus maintenant que des dieux honoraires, il en était tout autrement jadis. Les religions ne sont donc pas l’œuvre du caprice ; elles correspondent à cette tendance invincible qui porte l’homme, et parfois jusqu’à l’animal, à se rendre compte de tout ce qu’il voit, à se traduire le monde à soi-même. La religion est la science naissante, et ce sont des problèmes purement physiques qu’elle a tout d’abord essayé de résoudre. Elle a été une physique à côté, une paraphysique, avant de devenir une science au delà, une métaphysique.