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la genèse des religions.

somme, la terre et surtout le ciel réservent sans cesse aux hommes des impressions nouvelles, capables d’aviver les imaginations les plus lentes et d’exciter tous les sentiments humains et sociaux : crainte, respect, reconnaissance. Avec ces trois éléments, nous pouvons facilement composer le sentiment religieux[1]. Si donc nos ancêtres ont adoré l’aurore, nous ne croirons pas, avec M. Max Müller, que ce soit parce qu’en « ouvrant les portes du ciel » elle semblait ouvrir au regard un accès sur l’infini devenu visible ; nous n’admettrons pas plus, avec M. Spencer, que le culte des astres se ramène à une simple méprise de noms, ne soit qu’une branche du culte des ancêtres, qu’on ait simplement enveloppé dans la même adoration l’âme d’un ancêlre appelé métaphoriquement le soleil et l’astre qui portait le même nom. Il nous semble qu’on peut fort bien révérer le soleil et les astres pour eux-mêmes, ou plutôt pour leur relation avec nous.


En résumé, la conception la plus simple, la plus primitive que l’homme puisse se former de la nature, c’est d’y voir non pas des phénomènes dépendants les uns des autres, mais des volontés plus ou moins indépendantes et douées d’une puissance extrême, pouvant agir les unes sur les autres et sur nous ; le déterminisme scientifique ne devait être qu’une conception postérieure, incapable de venir d’abord à la pensée de l’homme. Le monde étant ainsi conçu comme un ensemble de volontés physiquement très puissantes, l’homme a qualifié moralement et socialement ces volontés selon la manière dont elles se conduisaient envers lui. « La lune est méchante ce soir, me disait un

    douce lumière éclaire sans brûler, rafraîchit, délasse du jour. La lune sera considérée par eux comme un être mâle et tout-puissant, dont le soleil est la femelle. C’est surtout lorsque, morle à son dernier quartier et disparue de l’horizon, la lune y remonte soudain pour recommencer ses phases, qu’elle sera saluée et fêtée par des cris et des danses. Les noirs du Congo verront même en elle un symbole de l’immortalité (M. Girard de Rialle, Mythologie comparée, p. 148). Au contraire, l’Amérique a été le centre du culte du soleil. En général, il semble que l’agriculture ait dû amener le triomphe de ce dernier culte sur celui de la lune, car le laboureur a plus besoin du soleil que le chasseur ou le guerrier Selon J.-G. Müller, les races sauvages et guerrières ont de préférence adoré la lune.

  1. Comme on l’a remarqué, l’adoration des forces naturelles s’est produite sous deux formes. Elle s’est adressée tantôt aux phénomènes réguliers et calmes (Chaldéens, Égyptiens), tantôt aux phénomènes changeants et perturbateurs (.luifs et Indo-Européeas) Elle a abouti presque partout à la personnification de ces forces.