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la physique religieuse et le sociomorphisme.

lée chez l’animal se précise chez l’homme, il faut absolument l’intervention de la théorie spiritiste. » — En vérité on se demande ce que vient faire ici le spiritisme[1]. On peut, par l’exemple qui précède, se représenter à peu près l’idée que les animaux se font des instruments inertes dont ils nous voient nous servir et avec lesquels nous les frappons souvent, La notion d’instrument est relativement moderne, elle est tout à fait inconnue au début de l’évolution. L’instrument, pour l’animal comme pour l’homme primitif, est presque un compagnon et un complice ; tous deux ne comprennent guère la causalité que comme une coopération, un accord muet entre deux êtres associés. Un lion, manqué par Livingstone, alla d’abord mordre la pierre sur laquelle était venue frapper la balle partie à son adresse ; c’est seulement ensuite qu’il se jeta sur le chasseur : la balle, le fusil, le chasseur étaient autant d’ennemis distincts qu’il voulait punir successivement. C’est ainsi que, dans les pénalités anciennes, on coupait la main aux guerriers, la langue aux blasphémateurs, les oreilles aux espions. En ce moment, j’ai près de moi mon chien : le fouet avec lequel je l’ai corrigé ce matin est resté sur une chaise ; le chien tourne autour avec défiance et respect, en reniflant à petits coups ; je ne crois pas qu’il osât y toucher du bout des dents. Il sait pourtant que, lorsque le fouet l’a blessé naguère, les circonstances étaient tout autres, que je tenais à la main cet objet dangereux et que c’est de moi qu’est partie la volonté première du châtiment. Néanmoins il n’est pas rassuré comme il le serait en face d’un objet inerte. Je comparerais volontiers l’impression qu’il semble éprouver à celle d’un enfant regardant un serpent derrière un bocal de verre ; l’enfant sait bien que, dans les circonstances données, il est à l’abri, mais il ne peut s’empêcher de se dire : — Si les circonstances étaient autres[2] !… Rappelons-nous

  1. Principes de sociologie, p. 595.
  2. Ajoutons que, lorsque l’animal ou l’homme primitif ont constaté une propriété particulière dans un certain objet, ils ont souvent de la peine à étendre cette propriété aux objets simplement analogues : un jour que je faisais courir un jeune chat, comme un petit chien, après une boule de bois que je lançais, la boule vint à le blesser ; il cria, je l’apaisai, puis je voulus recommencer le jeu : il courut volontiers après les pierres les plus grosses que je jetai, mais il refusa obstinément de courir de nouveau après la boule. Ainsi c’était bien à la boule seule qu’il avait attaché la propriété de blesser ; il la regardait peut-être de mauvais œil ; peut-être la considérait-il comme un être méchant, qui ne se prêtait pas au ieu : faute de généraliser