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la genèse des religions.

celui même qui, mieux dirigé, donnera naissance à l’explication scientifique des choses. La religion nous le montrerons tout à l’heure a pour origine, comme la science, l’élonnement de l’intelligence en face de certains phénomènes, la crainte et le désir sensibles qui en résultent, enfin la réaction volontaire qui les suit.


II. — Presque à l’antipode de M. Max Müller se trouve M. Herbert Spencer qui, par un retour réfléchi à l’évhémérisme, fait des dieux de simples héros transfigurés par le souvenir, ramène la religion au culte des ancêtres, et ainsi nie d’une manière implicite que le sentiment du divin ou de l’infini en ait été l’origine. Néanmoins MM. Müller et Spencer, malgré de telles divergences, s’accordent à rejeter la théorie qui attribue la naissance des religions à l’étonnement mêlé de crainte que l’homme, être intelligent, éprouve en face de certains phénomènes naturels, au besoin d’explication et de protection qu’il éprouve devant ce qui est puissant ou terrible.

Nous accorderons volontiers à M. Spencer que le culte des ancêtres a eu sa part dans la formation des croyances humaines ; on a déifié des héros non seulement après leur mort, mais de leur vivant même. Seulement, pourquoi ramener à ce seul principe quelque chose d’aussi complexe que les religions ? pourquoi vouloir le retrouver en tout, là même où aucun fait positif ne semble y autoriser ? Le système de M. Spencer, qui réduit toutes nos croyances à une seule, ne rappelle-t-il pas un peu trop la Genèse, qui fait sortir tous les hommes du premier couple d’Adam et d’Ève, après avoir tiré Ève elle-même d’une côte d’Adam ? S’il est excellent de chercher dans une conception primitive, vague et homogène, l’origine de toutes les croyances hétérogènes et postérieures, il faut du moins que cette conception primitive soit suffisamment large pour pouvoir à l’avance contenir en soi toutes les autres, M. Spencer est trop porté à confondre l’ « homogénéité » d’une notion avec son amplitude ; c’est par un prodige d’artifice qu’il parvient à faire sortir de son principe une théorie religieuse de l’univers.

M. Spencer essaye d’abord de prouver par trois exemples que le culte des morts existe chez des peuplades très abruties, où l’on n’a pas remarqué d’autre religion ; il en conclut que le culte des morts est antérieur à tout autre culte. Ces exemples sont très contestables, mais, ne le