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l’irréligion de l’avenir.

visage ; l’art humain peut aller plus loin, donner à une œuvre les apparences les plus raffinées de la vie ; mais l’art ne peut encore animer sa Galatée. Il faudrait que l’amour y parvînt, il faudrait que celui qui s’en va et ceux qui restent s’aimassent tellement que les ombres projetées par eux dans la conscience universelle n’en fissent qu’une ; et alors, cette image désormais unique, l’amour l’animerait constamment de sa vie propre. L’amour ne fixe pas seulement des traces immobiles comme la lumière, il ne donne pas seulement les apparences de la vie, comme l’art ; il peut faire vivre en lui et par lui.

La désunion déviendrait donc impossible, comme dans ces atomes-tourbillons dont nous avons parlé plus haut, qui semblent ne former qu’un seul être parce que nulle force ne peut réussir à les couper : leur unité ne vient pas de leur simplicité, mais de leur inséparabilité. De même, dans l’ordre de la pensée, un infini viendrait aboutir à un faisceau vivant qu’on ne pourrait rompre, à un anneau lumineux qu’on ne pourrait ni diviser ni éteindre. L’atome, a-t-on dit, est « inviolable » ; la conscience finirait, elle aussi, par être inviolable de fait comme elle l’est de droit.

Le foyer secondaire de chaleur et de lumière vitale serait même devenu plus important que le foyer primitif, si bien qu’une sorte de substitution graduelle pourrait se faire de l’un à l’autre ; la mort ne serait que cette substitution, et de plus en plus elle s’accomplirait sans secousse. Nous nous sentirions entrer et monter dès cette vie dans l’immortalité de l’affection. Ce serait une sorte de création nouvelle. La moralité, la religion même n’est, selon nous, qu’un phénomène de fécondité morale ; l’immortalité serait la manifestation ultime de cette fécondité. Alors on verrait disparaître, dans une synthèse finale, cette opposition que le savant croit apercevoir aujourd’hui entre la génération de l’espèce et l’immortalité de l’individu. Si on ferme les yeux dans la mort, on les ferme aussi dans l’amour ; qui sait si l’amour ne pourra pas devenir fécond jusque par delà la mort ?

Le point de contact serait ainsi trouvé entre la vie et l’immortalité. À l’origine de l’évolution, dès que l’individu s’engloutissait dans la mort, tout était fini pour lui, l’oubli complet se faisait autour de cette conscience individuelle retombée à la nuit. Par le progrès moral et social, le souvenir augmente toujours tout ensemble