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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

mort sont des idées relatives et corrélatives : la vie en un sens est une mort, et la mort est encore le triomphe de la vie sur une de ses formes particulières. On ne pouvait voir et saisir le Protée de la fable sous une forme arrêtée que pendant le sommeil, image de la mort ; ainsi en est-il de la nature : toute forme n’est pour elle qu’un sommeil. une mort passagère, un arrêt dans l’écoulement éternel et l’insaissable fluidité de la vie. Le devenir est essentiellement informe, la vie est informe. Toute forme, tout individu, toute espèce ne marque donc qu’un engourdissement transitoire de la vie : nous ne comprenons et nous ne saisissons la nature que sous l’image de la mort. Et ce que nous appelons la mort. — la mienne ou la vôtre, — est encore un mouvement latent de la vie universelle, semblable à ces vibrations qui agitent le germe pendant des mois d’apparente inertie et préparent son évolution. La nature ne connaît pas d’autre loi qu’une germination éternelle. Un savant retournait entre ses doigts une poignée de blé trouvée dans le tombeau d’une momie égyptienne. — « Cinq mille ans sans voir le soleil ! Pauvres grains de blé, vous voici devenus stériles comme la mort dont vous étiez les compagnons ; jamais vous ne balancerez au vent du Nil la tige dont vous portez le germe desséché. — Jamais ? Qu’en sais-tu ? Que sais-tu de la vie ? Que sais-tu de la mort. » — À tout hasard, pour tenter une expérience dans laquelle il n’espérait guère, le savant sema les grains sortis de la tombe. Et le blé des Pharaons, sentant enfin la chaleur du soleil avec la caresse de l’air et de la terre, s’amollit, se gonfla ; des tiges vertes fendirent la terre d’Égypte et, jeunes comme la vie, se balancèrent sous le vent du Nil, au bord de l’onde inépuisable et sacrée. — Pensée humaine, vie supérieure qui t’agites en nous comme sous l’écorce du blé tressaille le germe, amour, qui sembles t’endormir pour jamais sous la pierre du tombeau, n’aurez-vous point votre réveil et votre épanouissement dans quelque printemps inattendu, ne verrez-vous point l’éternité, qui semblait fermée pour vous et recouverte de ténèbres, s’illuminer et se rouvrir ? La mort, après tout, qu’est-ce autre chose dans l’ensemble de l’univers qu’un degré moindre de la température vitale, un refroidissement plus ou moins passager ? Elle ne peut être assez puissante pour flétrir à jamais le rajeunissement perpétuel de la vie, pour empêcher la propagation et la floraison à l’infini de la pensée et du désir.