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la physique religieuse et le sociomorphisme.

Brahma, l’éternel penseur, dont le monde n’est qu’une pensée fugitive. Maintenant les dieux sont morts, les sacrifices, les rites, les observances de toutes sortes sont devenues inutiles ; le seul culte qui convienne à l’infini, c’est la méditation et le détachement. Tous les débris des premières religions vont-ils donc disparaître, les temples élevés jadis tomberont-ils en poussière ; Agni, Indra, tous ces noms lumineux seront-ils à jamais oubliés ? Nullement ; et ici, suivant M. Max Müller, nous pouvons trouver dans l’histoire des religions de l’Inde une leçon pour nous, une leçon de tolérance et de largeur. Les brahmianes ont compris que, « comme l’homme arandil de l’enfance à la vieillesse, l’idée du Divin doit grandir en nous du berceau à la tombe… Une religion qui ne peut vivre et grandir avec nous est une religion morte. » Les Hindous ont donc conservé dans la vie individuelle des périodes distinctes, des açramas, comme ils disent ; dans les premiers açramas, le croyant invoque les dieux, leur offre des sacrifices, leur envoie ses prières ; plus tard seulement, quand il a accompli jusqu’au bout ces devoirs naïfs et attiédi son âme au long contact des jeunes croyances, sa raison mûrie s’élève au dessus des dieux, regarde enfin tous les sacrifices et les cérémonies comme des formes vaines, et ne cherche plus le culte que dans la science suprême, devenue pour lui la religion suprême, le Védânta. Ainsi, dans une même existence, diverses religions trouvent moyen de se superposer sans se détruire. Encore de nos jours, dans une famille de brahmanes, on voit le grand-père, arrivé au terme de l’évolution intellectuelle, regarider sans dédain son fils, qui accomplit chaque jour ses devoirs sacrés, et son petit-fils, qui apprrend par cœur les hymnes anciens. Toutes ces générations vivent en paix l’une à côté de l’autre. De même font les diverses castes, dont chacune suit la croyance adaptée à la portée de son esprit. Tous adorent au fond un même dieu, mais ce dieu se fait accessible à chacun d’eux, s’abaisse jusqu’aux plus infimes. C’est que, dit M. Max Müller, « une religion qui veut être le trait d’union entre le sage et le pauvre d’esprit, entre les vieux et les jeunes, doit être souple, doit être haute, profonde et large ; elle doit tout supporter, être ouverte à toutes les croyances et à toutes les espérances. Soyons donc tolérants, nous aussi, comme nos pères de l’Inde ; ne nous indignons pas contre les superstitions au-dessus desquelles nous nous sommes élevés, et qui nous ont servi de degrés