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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

science moderne, l’immortalité demeure toujours un problème : si ce problème n’a pas reçu de solution positive, il n’a pas reçu davantage, comme on le prétend parfois, une solution négative. En même temps, nous rechercherons quelles hypothèses hardies, aventureuses même, il faudrait faire aujourd’hui pour traduire et transposer en langage philosophique les symboles sacrés des religions sur la « destinée de l’âme. »


I. — Il y a deux conceptions possibles de la survivance au delà de la mort : celle de l’existence éternelle, celle de l’immortalité proprement dite ou continuation et évolution de la vie sous une forme supérieure. La première conception correspond surtout aux systèmes idéalistes sur le monde, que nous avons analysés précédemment, et qui, plaçant au fond même des choses une pensée éternelle, une pensée de la pensée, croient que l’homme peut, en s’identifiant avec elle, entrer du temps dans l’éternité. La pensée, qui ne semblait d’abord qu’une réverbération et une image des choses, se reconnaîtrait à la fin comme la réalité même dont tout le reste n’était qu’un reflet. Mais cette conception d’une existence éternelle n’est pas non plus incompatible avec la philosophie de l’évolution, car l’évolution dans le temps n’exclut pas un mode transcendant d’existence hors du temps. Seulement cette existence demeure essentiellement problématique : c’est le Noumène de Kant, l’Inconnaissable de Spencer. D’après cette hypothèse, la mort corporelle serait un simple moment de l’évolution physique, et le terme final proposé à tous les êtres serait leur fixation dans la conscience de l’éternité. Ce point de fixation, accessible à tout être pensant, ce serait seulement par la pensée la plus haute qu’on pourrait l’atteindre, par la pensée désintéressée, impersonnelle et universelle.

Tel est l’espoir qui a fait le fond des grandes religions et des métaphysiques idéalistes. Selon Platon, il n’y a de durable en nous que ce qui s’attache à l’éternel et à l’universel, « comme étant de même nature ». Le reste est emporté par le devenir, par la génération perpétuelle, c’est-à-dire par l’évolution. Une fleur est une amie pour nous ; pourtant elle ne tire sa couleur et son charme que d’un rayon de soleil ; et d’autre part, ce rayon auquel devrait remonter notre affection est tout impersonnel : il crée la