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l’irréligion de l’avenir.

On admet aujourd’hui qu’à toute pensée correspond un mouvement. Supposez qu’une analyse plus délicate que l’analyse spectrale nous permît de fixer et de distinguer sur un spectre non seulement les vibrations de la lumière, mais les invisibles vibrations de la pensée qui peuvent agiter les mondes, nous serions peut-être surpris de voir, à mesure que décroît la trop vive lumière et la trop intense chaleur des astres incandescents, y éclore par degrés la conscience — les plus petits et les plus obscurs des astres étant les premiers à la produire, tandis que les plus éblouissants et les plus énormes, les Sirius et les Aldébaran, seront les derniers à ressentir ces vibrations plus subtiles, mais verront peut-être une éclosion plus considérable de force intellectuelle, une humanité de plus grandes proportions et en rapport avec leur énormité.

Qu’est-ce que l’espace connu de nous, depuis notre terre jusqu’aux dernières nébuleuses que saisissent les plus puissants télescopes, et aux trous noirs où l’œil se perd derrière ces dernières lueurs ? Tout cet univers n’est qu’un simple point par rapport à l’univers total, — en supposant qu’il y ait un « tout ». L’éternité pourrait donc être nécessaire au progrès pour traverser l’immensité, si on suppose au progrès (fût-il certain et immanquable) un point de départ unique, une sorte de terre sacrée et de peuple élu, du sein duquel il se répandrait sur l’infini. D’ailleurs, la science moderne ne peut guère admettre cette terre privilégiée : la Nature sans bornes ne peut avoir, comme Dieu, d’élection exclusive. Si la partie est gagnée quelque part, elle peut et doit l’être sur bien des points à la fois ; seulement l’ondulation du bien ne s’est pas encore répandue jusqu’à nous. La lumière intellectuelle va moins vite que celle du soleil et des étoiles ; et, cependant, que de temps il faut à un rayon de la Chèvre pour arriver jusqu’à notre terre !

Dans nos organismes inférieurs, la conscience ne paraît se propager d’une molécule vivante à une autre que lorsqu’il y a contiguïté de cellules dans l’espace ; néanmoins, d’après les plus récentes découvertes sur le système nerveux et sur la propagation de la pensée par suggestion moniale à d’assez grandes distances[1], il n’est pas contraire aux faits de supposer la possibilité d’une sorte de rayonnement de la conscience à travers l’étendue, au moyen d’ondulations d’une subtilité encore inconnue de

  1. Voir Revue philosophique, 1886.