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le naturalisme idéaliste.

que les matériaux de cette construction soient comme suspendus en l’air. Pour expliquer la résistance, il faut absolument sortir du moi, car, même dans les cas où la résistance tactile paraît se ramener à une hallucination, la cause de cette hallucination s’explique toujours par quelque résistance organique, par quelque frottement des rouages intérieurs. L’erreur du fou qui voit une force étrangère prendre figure et se dresser devant ses yeux n’est pas de considérer cette force comme existant en dehors de lui, mais bien de la placer à l’extrémité de ses nerfs tactiles, tandis qu’elle est dans son cerveau même, au point où ses nerfs viennent se rattacher aux centres cérébraux ; il a toujours raison de sentir un ennemi, mais il ne le sent pas là où il est.

Il faut donc bien se résoudre à admettre tout ensemble des microcosmes, le mien, le vôtre, et un macrocosme, le mien, le vôtre. Ce qui est vrai, c’est qu’il s’établit entre le grand monde et chaque petit monde pensant une communication incessante, par laquelle tout ce qui se passe dans l’un vient retentir dans l’autre. Comme nous vivons dans l’univers, l’univers vit en nous. Ce n’est pas une métaphore. Si on pouvait lire dans le cerveau d’un enfant de nos écoles, on y verrait déjà gravée l’image plus ou moins fidèle de toutes les merveilles de notre monde : cieux, mers, montagnes, villes, etc. ; on y apercevrait le germe de tous les sentiments élevés, de toutes les connaissances complexes qu’une tête humaine peut contenir. Ce serait bien autre chose s’il s’agissait d’un grand homme, d’un penseur ou d’un poète : dans son vaste cerveau on retrouverait tout le monde visible ou invisible, avec ses faits et ses lois, on y retrouverait toute l’humanité en ce qu’elle a de meilleur, comme on aperçoit dans les verres des télescopes l’image agrandie des astres lointains. À qui saurait lire ainsi les traces laissées dans l’organisme par les sensations et les idées il suffirait, si notre terre disparaissait un jour, de quelques cerveaux humains bien choisis pour la reconstruire, pour en retracer l’image et en raconter l’histoire.

L’humanité agissante et pratique sera toujours « réaliste, » en ce sens qu’elle admettra toujours que le monde a une existence indépendamment de la pensée individuelle. Nous n’insisterons donc pas davantage sur l’idéalisme subjectif, qui a plus d’importance pour la curiosité métaphysique que pour le sentiment religieux.