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l’irréligion de l’avenir.

des intelligences, se terminera par l’union progressive des volontés. La solution la plus complète de la « question sociale » se trouve dans la sociabilité même de l’homme. Les aspérités des intérêts s’adouciront nécessairement par l’incontestable progrès de la sympathie sociale et des « sentiments altruistes. »

Si la sympathie, l’amour, le travail en commun, la jouissance en commun, semblent parfois augmenter les peines, ils peuvent encore mieux décupler les joies. Les peines, nous le savons de reste, en se partageant s’allègent. La sympathie par elle-même est un plaisir. Les poètes le savent, et surtout les poètes dramatiques ; la pitié, fût-elle accompagnée d’une vive représentation de la souffrance d’autrui, reste douce encore en ce qu’elle fait aimer : — Cet être souffre, donc je l’aime. — Or, l’amour renferme des joies infinies ; il multiplie largement le prix de la vie individuelle à ses propres yeux, en lui donnant une valeur sociale, qui est en même temps la vraie valeur religieuse. L’homme, a dit le poète anglais Wordsworth :


Vit d’admiration, d’espérance et d’amour ;


mais celui qui a l’admiration et l’amour aura toujours par surcroît l’espérance ; celui qui aime et admire aura cette légèreté du cœur qui fait qu’on marche sans sentir la fatigue, qu’on sourit en marchant et que toutes les visions du chemin semblent vous sourire. L’amour et l’admiration sont donc les grands remèdes de la désespérance : aimez, et vous voudrez vivre. Quelle que soit la valeur de la vie pour la sensibilité, savoir, agir, et principalement agir pour autrui, constitueront toujours des raisons de vivre. Or, on peut dire que c’est surtout pour les raisons de vivre qu’il faut tenir à la vie.

Le pessimisme ne veut voir dans la vie que le côté sensitif ; il y a aussi le côté actif et intellectuel : outre l’agréable, il y a le grand, le beau, le généreux. Même au seul point de vue des joies et des peines, le pessimisme se fonde sur des calculs aussi contestables que pourrait l’être « l’arithmétique des plaisirs » dans Bentham. Nous croyons l’avoir montré ailleurs[1], le bonheur et le malheur sont des constructions mentales faites après coup,

  1. Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, p. 89.