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le pessimisme est-il guérissable ?

géantes se détacher de son corps, et un aigle qui s’était abattu sur son front et lui dévorait lentement la cervelle, s’envole rassasié vers les cieux.


II. — Le pessimisme est-il guérissable ? — Le sentiment du mal a, croyons-nous, sa part légitime dans le sentiment métaphysique ou religieux ; mais est-ce une raison pour en faire non plus la partie, mais le tout de la métaphysique et de la religion ? Tel est le problème.

M. de Hartmann s’est efforcé de retrouver un fond pessimiste sous toutes les religions ; c’est trop juger l’humanité d’après nous-mêmes et notre époque. Soutenir ainsi que la religion est fondée sur un pessimisme radical, c’est comme si on voulait prétendre que la médecine a pour principe non la curabilité, mais l’incurabililé des maladies. Dans le pessimisme de Schopenhauer, comme dans l’optimisme de Spinoza, il y a sans doute une part de vérité qui sera indestructible, mais ce pessimisme dépasse de beaucoup toute affirmation et même toute probabilité scientifique. Si le monde n’a pour la science rien de divin, il n’a non plus rien de diabolique ; il n’y a pas plus lieu de maudire que d’adorer la nature extérieure. Intérieurement, les causes de souffrance que nous avons analysées ne sont que provisoires. Le savoir humain, qui accable actuellement le cerveau, peut, en s’organisant mieux, comme il l’est déjà dans certaines têtes bien équilibrées, produire un jour un sentiment de bien-être et de vie plus large. Il y a toute une science nouvelle à créer, celle de l’hygiène intellectuelle pour les peuples, de la thérapeutique intellectuelle pour les individus. Cette science, une fois créée, pourra empêcher ou guérir la dépression mentale, consécutive à une excitation exagérée, qui semble la formule physiologique du pessimisme et que la Grèce pensante n’a guère connue.

D’ailleurs le désir de savoir, qui est, nous l’avons vu, parmi les causes les plus profondes du mal du siècle, peut devenir, à un autre point de vue, la source la plus inaltérable peut-être, le plus sûr allégement de bien des maux humains. Certes, il est parmi nous des déshérités, physiquement ou mentalement infirmes, qui peuvent dire : « J’ai souffert dans toutes mes joies ; » le nescio quid amari est venu pour eux dès les premières gouttes de toute volupté ; pas un sourire qui, pour eux, n’ait été un peu mouillé, pas un baiser