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le panthéisme pessimiste.

mètre ; au contraire, les périodes de mécontentement et de malveillance s’expliquent par un état de dépression de la volonté accompagné d’une atténuation de la force musculaire, qui tombe parfois de moitié. On peut dire avec M. Féré que les individus bien portants, « offrant une tension potentielle maxima, » sont sans cesse en mesure d’ajouter une partie d’eux-mêmes à tout ce qu’il s’agit d’apprécier ; les dégénérés, au contraire, les affaiblis, soit au point de vue phvsique, soit au point de vue psychique, sont toujours en déficit ; « ils ne peuvent qu’emprunter, et apprécient tout au-dessous de sa valeur. » Ajoutons que, étant ainsi impuissants à s’équilibrer avec l’univers, il leur semble, par une naturelle illusion d’optique, que c’est l’univers qui ne peut se mettre en équilibre avec leurs aspirations ; ils croient le dépasser quand c’est lui en réalité qui les dépasse.

Dans toutes les expériences sur le somnambulisme, l’impuissance engendre le dégoût ; le patient chez lequel on a provoqué l’impuissance de saisir un objet désiré, s’explique à lui-même cette impuissance en cherchant dans l’objet quelque caractère repoussant et méprisable. Toujours nous donnons des restrictions de notre volonté une explication objective, au lieu d’en chercher une explication subjective. Une fois lancés dans cette voie, les somnambules iraient certainement, s’ils en étaient capables, jusqu’à construire un svstème métaphysique pour rendre raison de leur état subjectif[1].

Le pessimisme est probablement ainsi, au début, un point de vue individuel dominé par le sentiment subjectif d’impuissance. Toutefois ce sentiment lui-même, on aurait

  1. On persuade à une femme qu’elle ne peut prendre son fichu de laine posé sur le dossier d’un fauteuil : elle a froid aux épaules, le désire, avance la main, puis, sentant l’obstacle subjectif qu’elle cherche à traduire en un langage objectif, elle déclare que le fichu est sale, d’une vilaine couleur, etc., finit même par en être épouvantée jusqu’à la terreur la plus violente. De même pour un autre sujet d’expériences, une femme à qui on a persuadé qu’elle ne pouvait tirer le bouton d’un tiroir ; elle touche le bouton, puis le lâche, en disant que c’est un glaçon et en frissonnant de tout son corps. — Ce n’est pas étonnant, dit-elle pour justifier rationnellement cette émotion répulsive, c’est du fer. — On lui présente alors un compas en fer ; elle essaye de le prendre, le lâche aussitôt. — Vous voyez, dit-elle, c’est aussi froid que le bouton : je ne puis pas le tenir. — Ainsi l’explication objective d’un fait subjectif, une fois commencée, tend à se généraliser par la seule force de la logique, à envelopper tout l’ordre des phénomènes similaires, à devenir un système, au besoin un système cosmologique et métaphysique.