Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
le panthéisme optimiste.

une conséquence également très problématique que de se figurer l’univers comme un tout ayant une unité psychique et morale, puisque, pour la science, l’univers est un infini où nous ne voyons rien qui soit groupé autour d’un centre. Le monde est une force unique peut-être matériellement parlant, mais dans un état de dispersion morale et psychique. Tout ce qui est organisé, vivant, sentant, pensant, est fini, à notre connaissance, et l’équivalence des forces de l’univers, sur laquelle s’appuie la science, n’a rien de commun avec la centralisation de ces forces. C’est peut-être précisément parce qu’elles n’ont pas de direction d’ensemble qu’elles luttent l’une contre l’autre et se maintiennent l’une l’autre. Pour que l’univers se pensât dans sa totalité, qui sait s’il ne faudrait point qu’il se limitât, qu’il se donnât à lui-même un centre réel et peut-être, par cela même, une circonférence, qu’il arrêtât l’expansion éternelle de la matière et de la vie dans l’étendue sans bornes ?

Ce qui fait cependant que bon nombre d’esprits seront toujours tentés par le panthéisme, c’est précisément cette idée d’unité radicale sur laquelle il se fonde ; mais, quand on voudra déterminer cette unité, elle apparaîtra toujours tellement fuyante, qu’elle finira par se perdre dans l’indétermination du non-être hégélien. On se demandera alors si l’unité panthéistique ne serait pas, comme la finalité, une idée de notre esprit plutôt que le fond réel des choses. Le caractère un et défini que nous offre l’univers lui vient peut-être seulement de notre cerveau, où il se projette. Sur un mur, — le mur de la caverne de Platon, — projetez l’ombre d’objets confus et innombrables, d’atomes tourbillonnants, de nuées informes : tout cela prendra une figure, semblera même l’ombre fantastique de certaines constructions humaines ; vous reconnaîtrez des tours, des villes, des corps d’animaux, là où il n’y a que la masse obscure et infinie en profondeur d’êtres opaques interceptant la lumière de vos yeux. L’unité et la figure du monde peut n’être que l’ombre qu’il fait en nous. En dehors de nous il reste l’infini, qui, pour notre intelligence, ne peut jamais être que l’informe, car il est illimité, et nous ne pouvons le dessiner, lui fixer des contours. L’unité du monde, encore une fois, n’est pas faite ; elle ne se réalise peut-être que dans notre esprit, c’est par notre esprit seulement qu’elle peut passer dans les choses et dans les êtres. Le monde, l’humanité ne sont donc des touts qu’en tant