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l’irréligion de l’avenir.

nité lui enlève d’abord ses sentiments inférieurs, puis, plus tard, tout ce qui est analogue à la sensibilité humaine, les sentiments supérieurs étant encore trop grossiers. Le même travail s’accomplit pour ce qui concerne l’intelligence et la volonté. Chaque faculté humaine est tour à tour enlevée à la divinité, qui, avec toute limitation, semble perdre toute détermination saisissable pour l’intelligence : ce n’est plus qu’une insondable unité échappant aux formes de la pensée distincte. Le panthéisme s’accomode de cette notion de la divinité ainsi « désanthropomorphisée », indéterminée et indéterminable. Pourtant, dans les spéculations les plus naïves et les plus grossières de l’homme, dans l’anthropomorphisme et le fétichisme, il reste encore, selon M. Spencer, une part de vérité : c’est que le pouvoir qui se manifeste dans la conscience n’est qu’une forme différente du pouvoir mystérieux qui se manifeste en dehors de la conscience. « Quel est le dernier résultat auquel sont arrivées les sciences humaines, si ce n’est que la force inconnue qui existe en dehors de la conscience, sans être semblable à celle que la conscience nous révèle, doit être pourtant un simple mode de la même force, puisque chacune d’elles est capable d’engendrer l’autre ? » Par conséquent le résultat final de la spéculation commencée par l’homme primitif, « c’est que la puissance qui se manifeste dans l’univers matériel est la même puissance qui, en nous mêmes, apparaît sous la forme de la conscience. »

Si le panthéisme en vient à nier la personnalité et l’individualité de Dieu, par compensation, il est porté à attribuer une sorte d’individualité au monde. En effet, grâce à la présence de Dieu en toutes ces parties, le monde se trouve devenir un véritable être vivant ayant son unité organique, sa loi d’évolution déterminée à l’avance comme celle de l’embryon. Ce qui caractérise le panthéisme, à ce nouveau point de vue, c’est donc l’importance qu’il attache à l’idée d’une unité substantielle du monde.

Mais, ainsi entendu, le panthéisme demeure une doctrine très flottante, susceptible des interprétations les plus diverses, selon la manière dont on se représente l’énergie universelle, l’unité omniprésente, surtout le ressort fondamental de son évolution, qui est nécessité pure selon les uns, finalité selon les autres. De plus la nécessité et la finalité universelle peuvent être conçues sous une double forme, optimiste ou pessimiste.