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l’irréligion de l’avenir.

tête baissée, implorant le ciel impassible. Chez les anciens Germains, avant de pénétrer dans les forêts sacrées, le fidèle se faisait lier les mains, pour symboliser son esclavage en présence des dieux ; s’il avait le malheur de tomber le long du pèlerinage, il n’osait se relever, car c’eût été une injure que de se redresser ainsi devant eux ; il en était réduit à se rouler sur le sol, comme les reptiles, pour sortir du temple immense, du dôme de la forêt sacrée. À cette conception primitive de la servitude religieuse s’oppose déjà et s’opposera de plus en plus la conception moderne de l’homme libre devant son dieu, qui deviendra son idéal aimé, son œuvre pressentie, son rêve de progrès. Dès maintenant, le vrai sentiment du divin se reconnaît, à ce qu’il donne à l’homme la conscience de sa liberté et de sa dignité, non de son esclavage ; les vrais dieux sont ceux qui nous font le front plus haut dans la lutte pour la vie : adorer, ce n’est plus aujourd’hui se prosterner et ramper, c’est se redresser, c’est s’élever.

Pour emprunter un nouveau trait à la terre classique des symboles, à l’Inde, d’où nos ancêtres Germains ou Gaulois étaient sortis, la grande épopée du Ramayana nous parle d’un saint et sage anachorète qui réunissait en lui toute la vertu et la piété humaines. Un jour que, confiant dans la justice d’en haut, il invoquait Indra et le chœur des dieux, les dieux capricieux ne l’écoutèrent pas ; la prière partie de son cœur retomba des cieux sans avoir été entendue. L’homme très juste, voyant l’indifférence divine, fut pénétré d’indignation ; il réunit en lui toute la force qu’il avait « thésaurisée par ses sacrifices et ses renoncements « et, se sentant alors plus puissant que ses dieux, plus puissant qu’Indra lui-même, il se mit à commander aux cieux. À sa voix des astres nouveaux, brillant de leur propre lumière, surgirent dans l’immensité ; lui aussi il proférait le fiat lux, il refaisait le monde : sa bonté intérieure se changeait en providence créatrice. Ce n’était pas encore assez : il songea à créer des dieux nouveaux aussi, des dieux meilleurs. Indra tremblant se voit alors près de déchoir, car Celui même qui commande à l’air et aux cieux ne peut rien contre la « sainteté, » Indra le puissant se hâte donc de céder, de plier ; c’est lui qui dit à l’homme : « Que ta volonté soit faite. » Il laisse une place dans le ciel aux astres nouveaux qu’y avait créés le juste : leur lumière est comme l’éternel témoignage de la toute-puissance possédée par la Bonté, qui fait d’elle la divinité suprême et l’objet dernier de l’adoration des hommes.