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le théisme. idée de providence.

de la critique quand on les prend dans leur sens général et élevé, presque métaphorique ; mais, si on veut les prendre à la lettre et constituer un culte pour le nouveau Dieu-Humanité, quoi de plus mesquin et de plus puéril ? Précisément parce qu’on réalise la providence dans l’humanité, il faut supprimer le culte dont cette providence était jadis l’objet, les cérémonies, les invocations, les adorations, qui ne sont plus qu’un paganisme manifeste et ridicule. Oui, il y a une sorte de providence présente en tout organisme, et aussi à l’organisme social, qui n’est autre que l’équilibre des lois de la vie ; oui, le tout d’un organisme est vraiment admirable, et l’on comprend qu’un membre d’un organisme vivant, lorsqu’il est doué de conscience, puisse admirer le tout auquel il appartient ; mais comment en fera-t-il un objet de culte ? Je comprends que les cellules qui me constituent s’intéressent beaucoup à la conservation de ce que j’appelle mon moi, s’aident l’une l’autre, et par là m’aident moi-même, mais qu’elles m’adorent moi-même, je ne le comprends plus. Autre chose est l’amour de l’humanité, autre chose l’idolâtrie de l’homme, la « sociolâtrie », selon le terme d’Auguste Comte. Disons mieux, l’amour vraiment sincère et éclairé de l’humanité est le contraire même de cette idolâtrie ; il serait par elle compromis et corrompu. Le « culte de l’Humanité » ressemble à l’antique et naïf culte de la famille, des dieux lares, du foyer, du charbon sacré dormant sous la cendre amoncelée où on le conservait. Pour conserver aujourd’hui le respect et l’amour, il n’est plus bon de les envelopper de toutes ces superstitions ; ils se communiquent mieux d’un cœur à l’autre, comme la flamme vive à ciel ouvert. La religion positiviste, loin d’être un pas en avant, serait un retour en arrière, vers des croyances superstitieuses qui se sont évanouies d’elles-mêmes, parce qu’elles étaient devenues inutiles, conséquemment nuisibles.

Selon nous, la religion doit être non seulement humaine, mais cosmique. Et c’est en effet ce qui aura lieu par la force des choses, ou plutôt par la force de la réflexion humaine. Le théisme sera obligé, pour subsister, de se renfermer dans l’affirmation la plus vague possible d’un principe analogue à l’esprit comme mystérieuse origine du monde et de son développement. Ce principe aura pour caractère essentiel de ne pas être vraiment séparé du monde, ni opposé à son déterminisme. Les idées de création et de