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l’irréligion de l’avenir.

évidence, et cela sans aucune préoccupation dogmatique comme sans préoccupation polémique. La sincérité absolue, la sincérité impersonnelle pour ainsi dire et sans passion est le premier devoir du philosophe. Arranger le monde selon ses préférences personnelles, — par exemple ne chercher que les hypothèses les plus « consolantes, » non les plus probables, — ce serait ressembler à un commerçant qui, examinant son grand livre, n’alignerait que les chiffres avantageux et ne s’appliquerait à faire que de consolantes additions. La plus stricte probité est de rigueur pour qui examine le grand livre de la vie : le philosophe ne doit rien cacher ici aux autres ni à lui-même. Nous essaierons donc de faire voir quels sont, à notre avis, les divers aspects sous lesquels se montre aujourd’hui le connaissable en son ensemble, conséquemment aussi l’inconnaissable, que sympathiser tour à tour avec les sentiments qui ont inspiré les principaux systèmes métaphysiques, sans cependant nous faire illusion sur ce qu’ils ont d’erroné ou d’incomplet. Dans une église de Vérone, des sentences sacrées sont inscrites sur les dalles de marbre où l’on marche ; elles se suivent, se complètent l’une l’autre et, obscures d’abord, elles prennent un sens et s’éclairent à mesure qu’on avance sous les hautes voûtes : ainsi en est-il dans la vie, où toutes les croyances religieuses ou philosophiques au milieu desquelles nous marchons et respirons nous semblent d’abord énigmatiques et mystérieuses ; nous les foulons quelquefois aux pieds sans les comprendre ; à mesure que nous avançons, nous en saisissons mieux le sens caché, les naïvetés et les profondeurs. Chaque pas dans la vie est une perspective qui s’ouvre pour nous dans le cœur de l’humanité : vivre, c’est comprendre, et comprendre, ce n’est pas seulement tolérer, mais aimer. Cet amour, d’ailleurs, n’exclut ni la clairvoyance, ni l’effort pour améliorer et transformer : au contraire, l’amour vraiment actif doit être avant tout un désir de transformation et de progrès. Aimer un être, une croyance, c’est chercher à les élever.