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l’association des sensibilités. — l’art.

néaire ; il n’en était pas ainsi autrefois, où tout traducteur se croyait obligé d’être un amplificateur. Si, dans l’art véritable il existe de grands moyens pour rendre et inspirer l’émotion, il n’y en a pas de gros. L’orateur, de nos jours, fait un emploi beaucoup moindre du geste, l’acteur sur le théâtre ne se montre plus grandi par le cothurne, le vers va se rapprochant du langage ordinaire, la musique s’affranchit de toutes les règles trop conventionnelles du contrepoint. Ce qui est vrai pour les arts les plus divers l’est aussi pour l’esthétique religieuse, qui se débarrassera de tous les ornements factices et de toutes les cérémonies vaines du rite. L’expression esthétique d’un sentiment profond, pour être vraie et durable, doit être profonde comme lui, voisine de l’être intérieur, murmurée encore plus qu’articulée. Ce qui rend éternels tels ou tels vers des grands poètes, c’est leur simplicité : plus un art se surcharge de matière, plus il est sûr de périr, comme l’architecture du style jésuite, si ridicule aujourd’hui avec ses dorures et ses fausses richesses. Les cérémonies proprement dites sont destinées à se simplifier toujours davantage dans les associations religieuses ou morales. Un jour viendra sans doute où elles n’auront lieu que pour célébrer les trois grands événements de la vie humaine : la naissance, le mariage et la mort ; peut-être même disparaîtront-elles tout à fait, l’émotion devenant trop profonde et trop intérieure pour être traduite d’une manière extérieure par le moindre rite, par le moindre culte convenu et réglé d’avance.


Une larme en dit plus que vous n’en pourriez dire.


Dans les cimetières, on reconnaît aujourd’hui les tombes des familles les plus distinguées à ce qu’elles sont plus simples, moins chargées d’ornements convenus. Une seule dalle de marbre sous un arbuste en fleurs, c’est assez pour produire sur celui qui passe une impression plus vive que toutes les croix, les lampes qui brûlent, les images de saints, les colifichets enfantins, les inscriptions ridicules qui ornent tant de tombeaux. Il ne faut pas trop prêter un langage aux énigmes éternelles ; elles parlent d’elles-mêmes, sans qu’on ait besoin d’enfler leur voix. Le silence des cieux étoilés fait plus d’impression qu’une parole, et l’instruction religieuse la plus haute ne doit avoir qu’un but : enseigner aux hommes à écouter ce silence. La mé-