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l’association des sensibilités. — l’art.

Outre la poésie et l’éloquence, l’art le plus religieux, c’est-à-dire le plus capable d’engendrer des émotions communes et sympathiques d’un genre élevé, a été et sera la musique. Wagner n’avait pas absolument tort d’y voir la religion de l’avenir ou tout au moins le culte de l’avenir. Nous ne parlons pas seulement de la musique instrumentale, mais encore et surtout de la musique vocale, de ces chœurs qu’on rencontre si souvent en Allemagne, où viennent s’unir tant de voix en un même chant, où elles se rythment sur la même mesure, réglées et emportées toutes ensemble par le génie. Ainsi comprise, la musique est vraiment religieuse et sociale[1].

Au reste, il n’est presque pas d’art qui ne soit conciliable avec la gravité du sentiment religieux, car tout art, par ses parties les plus hautes, non moins que la poésie et la musique, éveille la pensée contemplative et philosophique. On peut donc croire avec Strauss que la religion se laissera envahir graduellement par l’art, se fondra peu à peu avec lui. Dès maintenant, il y a des différences de genre plutôt que des oppositions entre l’art profane et l’art que nous appelons sacré. Ces différences subsisteront toujours : il est évident qu’un pas redoublé, par exemple, ne peut jamais être le symbole d’une idée vraiment profonde sur la nature, l’humanité ou l’infini. L’esthétique religieuse continuera donc d’exclure certaines formes inférieures de l’art tout en devenant toujours plus large et plus tolérante.

L’art, pour remplacer la religion, devra accomplir un

    pation des autorités oppressives, la guerre aux institutions corruptrices, la poésie religieuse, la philosophie de l’histoire, etc., sont, à divers titres, ses représentants dans le monde moderne. C’est le vieux tronc qui s’est déployé en branches. » (M. Albert Réville, p. 229, Prolégomènes de l’Histoire des religions.

  1. Actuellement la musique fait partie du culte ; mais de deux choses l’une : ou elle est faite par les fidèles, et elle est assez mauvaise, vu l’ignorance musicale de la plupart d’entre eux ; ou elle est faite en dehors des fidèles, et elle aurait alors plus de chances d’être bonne, mais elle est en général assez mal choisie. Il est probable qu’un jour l’éducation musicale se répandra infiniment plus qu’aujourd’hui. Il ne serait pas plus difficile, et il serait plus utile d’apprendre aux enfants les éléments de la musique que de leur apprendre le mystère de l’incarnation. — De plus, en prenant la musique dite religieuse non pas seulement dans le répertoire trop étroit des œuvres sacrées, mais dans tous les maîtres classiques, on serait assuré d’entendre de belle musique, de style et de mouvements variés, capable de plaire à tous ceux chez qui le goût esthétique est développé.