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l’irréligion de l’avenir.

passé. Un point prendra une importance croissante dans toute parole adressée au peuple : c’est le côté instructif ; on ne doit parler au peuple que pour lui apprendre quelque chose. Or, il y a trois sortes d’instruction : l’instruction scientifique, l’instruction littéraire, l’instruction morale ou métaphysique. La première devra être donnée dans une proportion toujours croissante non seulement à l’école, mais dans tout lieu où se réunissent les adultes. Les deux autres sortes d’instruction pourraient être données simultanément par le moyen de lectures bien choisies. Ce qu’il y a de plus intéressant dans beaucoup de sermons ou de conférences, ce sont les textes et les citations apportés par le prédicateur. Le choix de ces textes, la manière dont ils sont expliqués, mis à la portée de la foule, c’est là ce qui fait la valeur du sermon ; en d’autres termes, ce dernier est d’autant meilleur qu’il est plus simplement la lecture sentie et expliquée d’une des belles pages des bibles humaines. Déjà en Allemagne, en Angleterre, aux Indes, les prédicateurs de certaines sectes très libérales prennent indifféremment le texte de leurs sermons dans tous les livres sacrés de l’humanité. On peut concevoir une époque plus libérale encore où ces textes seraient empruntés non seulement aux poètes des anciens âges, mais aux génies incontestés de tous les temps ; il se trouvera des lecteurs et des commentateurs populaires pour toutes les grandes œuvres humaines. La plus complète expression du sentiment dit religieux, en dehors des vastes épopées hindoues ou juives, se rencontre après tout dans les chefs-d’œuvre profanes, depuis Platon et Marc-Aurèle jusqu’à l’hymne au devoir de Kant, depuis les drames d’Eschyle jusqu’à l’Hamlet de Shakspeare, au Polyeucte de Corneille ou aux Contemplations de V. Hugo.

Les « prophètes religieux », comme les prêtres, seront remplacés par les grandes individualités de tous les ordres de la pensée humaine, de la poésie, de la métaphysique et de la science. Chacun de nous pourra parmi eux se choisir son prophète, préférer le génie qui s’adapte le mieux à son intelligence personnelle et peut le mieux lui servir d’intermédiaire avec l’éternelle vérité. Chacun de nous n’en restera pas moins son propre prêtre[1].

  1. « Le prophétisme n’est pas mort, il s’est épanoui et il se perpétue sous d’autres noms. La réforme religieuse et la spiritualité religieuse. L’émanci-