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l’irréligion de l’avenir.

quer son intelligence. Or, tous les travailleurs unis dans un même effort de pensée et tournés vers un même point de l’horizon intellectuel tendent naturellement à se rapprocher ; toute coopération tend à devenir union et association. Nous avons tous une patrie intellectuelle, comme une patrie terrestre ; dans celle-là comme dans celle-ci nous sentons des concitoyens, des frères, vers lesquels nous pousse une sympathie naturelle. Cette sympathie s’explique par une conscience vague de la solidarité des intelligences humaines, qui ne peuvent se désintéresser l’une de l’autre, qui aiment à partager la vérité ou l’erreur comme le plaisir ou la souffrance : il est bon de les voir ainsi se rapprocher, se rejoindre, s’harmoniser, pourvu qu’elles ne se prennent pas elles-mêmes dans une sorte d’engrenage, et que leur solidarité soit une condition de progrès, non d’arrêt et d’immobilité. Les hommes se plairont toujours à mettre en commun et à partager leurs idées, comme les disciples de Socrate apportaient ensemble et partageaient leurs repas dans la petite maison remplie par l’amitié ; on est rapproché par ce qu’on sait, suppose ou préjuge, comme par ce qu’on aime. Le rayonnement de notre cœur doit d’abord chercher ceux qui sont plus près de nous, ceux qui sont nos voisins par leur pensée et leurs travaux. Le travail ne façonne pas seulement les objets, il façonne aussi à la longue le travailleur : une même occupation poursuivie avec le même amour finit par donner à la longue le même cœur. Le travail, de quelque ordre qu’il soit, constitue donc un des liens les plus forts entre les hommes. Aussi de nos jours les associations se forment-elles entre les savants ou les chercheurs comme entre les travailleurs des mêmes corps de métier. Nous avons des sociétes d’études scientifiques, médicales, biologiques, etc. ; nous avons des sociétés d’études littéraires et philologiques, d’études philosophiques, psychologiques ou morales, d’études économiques ou sociales, enfin d’études religieuses. Ces sociétés sont de vraies églises, mais des églises pour le libre travail, non pour le repos dans une foi convenue ; elles iront se multipliant par la spécification même de chacune de ces études. De telles associations entre travailleurs sont le type dont se rapprochera sans doute dans l’avenir toute association, y compris celles d’un caractère religieux. La communauté de recherches, qui crée une fraternité semblable à la communauté de foi, est souvent supérieure et plus féconde. Un jour sans doute les