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l’irréligion de l’avenir.

tions tout ensemble. Si une intelligence primitive ne peut se résoudre à rester en suspens, si elle a besoin d’affirmer, une intelligence plus parfaite se reconnaît à ce qu’elle peut douter de ce qui est sujet à doute. La crédulité est le mal originel de l’intelligence.

Appelons donc certitude ce qui est certitude, croyance plausible ou probable ce qui est possibilité ou probabilité. Quand on s’occupe d’un point précis de fait, on peut en venir à dire positivement : c’est là ce qui est, c’est là ce que l’avenir affirmera sur ce point ; mais, quand il s’agit de croyances et de croyances métaphysiques, il est absurde de dire : je crois telle chose, donc c’est le dogme que vous devez tous adopter. La base positive des inductions métaphysiques que tente l’esprit humain est encore trop inégale et trop fragile pour ne pas permettre à la ligne des hypothèses un écartoment qui va grandissant dans les sphères obscures de l’inconnu ; aucune de nos percées vers l’infini ne peut être encore parallèle à l’autre ; nos pensées aujourd’hui montent dans tous les sens et se perdent comme des fusées capricieuses sans pouvoir se rencontrer dans les cieux. Le philosophe ne peut que constater jusqu’à nouvel ordre cet écartement des lignes tracées par l’hypothèse humaine, sans essayer de le nier.

Maintenant, un problème se pose devant le philosophe même comme devant tous les hommes : celui de l’action. Il faut bien adopter une ligne unique pour la conduite au milieu de cet écart des lignes qui caractérise la spéculation humaine ; laissant la pensée philosophique poursuivre ses courbes et ses méandres par-dessus nos têtes, nous devons choisir sur terre un petit chemin sur. Parfois on est forcé, pour agir, de se comporter avec des choses douteuses comme si elles étaient certaines. Un tel choix n’est cependant qu’un moyen inférieur et exceptionnel de prendre parti entre les hvpothèses dont on n’a pas le temps ou le pouvoir de mesurer exactement la réalité. On tranche ses doutes, mais c’est là un pur expédient pratique, un coup d’épée dans les nœuds gordiens de la vie dont on ne peut faire une règle de pensée. La foi, qui met sur un pied d’égalité le certain et l’incertain, l’évident et le douteux, ne doit être qu’un état d’esprit provisoire ayant pour but de permettre l’action. Aussi ne doit-on pas, pour ainsi dire, croire une fois pour toutes, donner à jamais son adhésion. La foi ne doit jamais être que le pis aller du savoir, un pis aller tout provisoire. Aussitôt que l’action n’est plus nécessaire, il