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substitution du doute à la foi.

aura d’autres pour qui la vie sera de chercher infatigablement.

Le nombre des « sceptiques » ne s’accroîtra pas nécessairement par la disparition de la religion. Le scepticisme qui n’est que légèreté et ignorance tient précisément aux mêmes causes que les préjugés religieux, à l’absence d’une éducation philosophique solide et d’une discipline mentale. Quant aux intelligences vraiment sérieuses, elles sont de deux sortes : les unes positives, les autres spéculatives. Un esprit trop positif, trop terre à terre, s’il se généralisait à l’excès dans la société humaine, pourrait devenir une menace d’abaissement ; mais ce n’est pas la religion qui l’empêche de se développer : voyez l’Amérique. Le véritable moyen de tempérer l’esprit positif, c’est de cultiver le sentiment du beau et l’amour des arts. Quant aux esprits spéculatifs, ils sont l’avenir de l’humanité ; mais la spéculation, loin d’avoir besoin du dogme, naît plutôt de son affaiblissement : pour se poser des interrogations sur les questions les plus hautes, il ne faut pas avoir d’avance dans le dogme des réponses toutes faites. La disparition des religions positives ne fera donc que donner plus d’essor à la libre spéculation métaphysique et scientifique. L’esprit spéculatif est tout ensemble le contraire de l’esprit de foi et le contraire de l’esprit de négation absolue. Un chercheur peut parfois se défier de ses forces, se plaindre de son impuissance, mais il ne renoncera jamais, en face de la vérité lointaine. Les esprits vraiment forts ne seront jamais des découragés ni des dégoûtés, des Mérimée ou des Beyle. Il y a dans la production active de l’esprit, dans la spéculation toujours mouvante, quelque chose qui dépasse tout ensemble et la foi et le doute pur, comme il y a dans le génie quelque chose qui dépasse à la fois l’admiration un peu niaise de la foule et la critique dédaigneuse des prétendus connaisseurs. Les esprits trop critiques et les esprits trop crédules ne sont que des impuissants. Il est bon de sentir sa faiblesse, mais de temps en temps seulement ; il faut promener ses regards sur les limites de l’intelligence humaine, mais ne pas les y arrêter à jamais : on pourrait se paralyser soi-même. « L’homme, a dit Gœthe, doit croire avec fermeté que l’incompréhensible deviendra compréhensible ; sans cela il cesserait de scruter. » Malgré le nombre d’idées qui entrent et sortent au hasard des têtes humaines, qui montent et tombent sur notre horizon, qui brillent et