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une nouvelle religion est-elle possible ?

tifiques, de toute invenrion portant sur la matière inerte que nous pouvons librement pétrir, à plus forte raison en est-il ainsi des idées sociales, des expériences sur la matière humaine, si variable, si hétérogène, si résistante. Les socialistes n’en sont le plus souvent encore qu’à la théorie, — une théorie très vague et très contradictoire ; quand il s’agira pour eux de passer à la pratique, il faudra bien distinguer entre l’application en petit dans un milieu choisi, fait exprès, et l’application en grand dans l’État. L’État qui, séduit par quelque belle théorie socialiste, serait par impossible entraîné à vouloir la réaliser lui-même sur de grandes proportions, se ruinerait nécessairement. Les expériences sociales, encore une fois, ne peuvent pas être tentées directement par l’État, même si elles s’appuient sur des idées religieuses, et surtout peut-être si elles s’y appuient. Les expériences de ce genre ne peuvent être qu’observées par l’État, suivies avec intérêt par lui ; on peut même admettre que, dans certains cas, l’État a le droit d’encourager les plus intéressantes d’entre elles, de les subventionner, comme il fait pour des entreprises industrielles. Nous sommes persuadé que, dans l’avenir, se produiront des manifestations très diverses du socialisme, comme d’ailleurs de l’esprit religieux. Il doit y avoir des conceptions variées de l’ordre social, toutes également réalisables avec des tempéraments différents et des climats différents. La société humaine, qui aujourd’hui, en dehors des couvents, — groupements artificiels d’individus de même sexe, — présente un type assez uniforme, pourra offrir plus tard, grâce à une entière liberté d’association et au progrès de l’initiative individuelle, une grande variété de types. Le socialisme librement appliqué ne fondera pas une religion, mais il pourra fonder un grand nombre d’associations dominées par des idées métaphysiques ou morales que les associés auront adoptées en commun. Il contribuera ainsi à cette multiplicité, à cette diversité de croyances qui n’exclut pas, mais appelle, au contraire, leur libre groupement.

L’avenir laissera donc de plus en plus à la pensée humaine la liberté de prendre toutes les directions où elle pourra s’engager sans violer le droit d’autrui. Quel est l’idéal social le plus élevé ? Est-ce purement et simplement la pratique des vertus nécessaires, ou encore une moralité à demi-inconsciente, une innocence bénigne, composée à la fois d’igriorance et d’habitude ? Nous trouvons ce type