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une nouvelle religion est-elle possible ?

doivent, selon eux, renouveler la religion de l’avenir et lui donner une vitalité jusqu’alors inconnue. — Cette conception paraît au premier abord originale, mais en réalité elle n’est qu’un retour en arrière. Les grandes religions à portée universelle, le bouddhisme, le christianisme, ont été socialistes à leurs débuts, elles ont prêché le partage des biens et la pauvreté pour tous ; c’est une des raisons pour lesquelles elles se sont propagées avec tant de rapidité parmi le peuple. En réalité, dès qu’à la période de propagande a succédé la période d’établissement, ces religions ont fait tous leurs efforts pour devenir individualistes, fût-ce au prix de contradictions : elles n’ont plus promis l’égalité que dans le ciel ou dans le nirvâna.

S’ensuit-il que nous croyions les idées socialistes sans aucun avenir ; et d’autre part ne peut-on concevoir un certain mysticisme s’alliant au socialisme, lui empruntant et lui communiquant de la force ? — Un socialisme mystique n’est nullement irréalisable dans certaines conditions et, loin de faire obstacle à la libre-pensée religieuse, il pourra en être une des manifestations les plus importantes. Mais ce qui a rendu jusqu’ici le socialisme impraticable et utopique, c’est qu’il a voulu s’appliquer à la société tout entière, non à tel ou tel petit groupe social. Il a voulu être socialisme d’État, de même que toute religion rêve de devenir religion d’État. L’avenir des systèmes socialistes et des doctrines religieuses, c’est au contraire de s’adresser à de petits groupes, non à des masses confuses, de provoquer des associations très variées et multiples au sein du grand corps social. Comme le reconnaissent ses partisans les plus convaincus, le socialisme exige de ses membres, pour sa réalisation, une certaine moyenne de vertu qu’on peut rencontrer chez quelques centaines d’hommes, non chez plusieurs millions. Il cherche à établir une providence humaine, qui ferait très mal les affaires d’un monde, mais peut encore veiller assez bien sur quelques maisons. Le socialisme veut plus ou moins faire un sort à chaque individu, fixer les destinées, donner à chacun une somme de bonheur moven en lui assignant une petite case de la ruche sociale. C’est un fonctionnarisme idéal, et tout le monde n’est pas né pour être fonctionnaire ; c’est la vie prévue, assurée, sans mésaventures et aussi sans grandes espérances, sans le haut et le bas de îa bascule sociale, — existence quelque peu utilitaire et uniforme, tirée au cordeau comme les planches d’un pota-