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une nouvelle religion est-elle possible ?

de la pensée. La métaphysique religieuse peut être une illusion involontaire, une erreur, un rêve ; mais le fétichisme sans métaphysique est bien pire : c’est une illusion voulue, une erreur cherchée, un rêve qu’on fait tout éveillé. Auguste Comte semble croire, pourtant, que nous aurons toujours besoin d’adresser notre culte au moins à une personnification imaginaire de l’humanité, à un grand Être, à un grand Fétiche : ce serait faire du fétichisme une sorte de catégorie d’un nouveau genre, s’imposant à l’esprit humain comme les catégories kantiennes. Le fétichisme ne s’est jamais imposé à nous de cette manière : au point de vue intellectuel, il s’appuie sur des raisonnements dont on peut démontrer la fausseté ; au point de vue sensible, sur des sentiments déviés de leur direction normale et qu’on peut y ramener. Si parfois l’amour s’adresse à des personnifications, à des fétiches, c’est seulement à défaut de personnes réelles, d’individus vivants : — telle nous semble être, en sa plus simple formule, la loi qui amènera graduellement la disparition de tout culte fétichiste. Il s’agit de trouver des dieux en chair et en os, vivant et respirant avec nous, — non pas des créations poétiques comme ceux d’Homère, mais des réalités visibles. Il s’agit d’apercevoir le ciel dans les âmes humaines, la providence dans la science, la bonté au fond même de toute vie. Il faut non pas projeter nos idées et nos représentations subjectives en dehors de ce monde et les aimer d’un amour stérile, mais aimer d’un amour actif tous les êtres de ce monde, en tant qu’ils sont capables de concevoir et de réaliser les mêmes idées que nous. De même que l’amour de la patrie tend à disparaître en tant qu’amour d’une abstraction et se résout dans une sympathie générale pour tous nos concitoyens, de même l’amour de Dieu se dispersera sur la terre entière, se fragmentera entre tous les êtres. Connaître des choses vivantes, c’est les aimer : ainsi la science, en tant qu’elle s’applique à la vie, se confond, croyons-nous, avec le sentiment constitutif des religions les plus hautes, avec l’amour.

Une autre religion de l’humanité ou « religion de l’éthique » a été fondée récemment à New-York par le fils d’un rabbin américain, M. Félix Adler ; mais ce dernier, plus conséquent qu’Auguste Comte, s’est résolu à trancher au vif dans les rites religieux comme dans les dogmes. Il a supprimé presque toutes les cérémonies, tout catéchisme, tout livre saint. Sa métaphysique, inspirée par