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l’irréligion de l’avenir.

cal disait encore : « Les miracles montrent Dieu et sont un éclair. » Nous n’avons plus cet éclair. La science tient déjà toute prête l’explication du nouveau miracle sur lequel on essaierait un jour de fonder la nouvelle religion de l’avenir.

Un élément de grande fécondité religieuse, le génie poétique et métaphysique, s’en va aussi de la religion, cela est incontestable. Lisez les récits des derniers miracles, celui de Lourdes, par exemple : la petite fille ôtant ses bas pour passer un ruisseau, les paroles de la Vierge, la vision répétée comme un spectacle devant des témoins qui ne voient rien, tout cela est trivial ou insignifiant ; comme nous sommes loin de la Vie des Saints, de l’Évangile, des grandes légendes hindoues ! Les pauvres d’esprit peuvent voir Dieu ou la Vierge ; ce n’est pas eux qui les font voir ; ce n’est pas eux qui fondent ou ressuscitent les religions : il faut que le génie ait passé par là, et le génie, qui souffle où il veut, souffle aujourd’hui ailleurs. Si la Bible et l’Évangile n’étaient pas des poèmes sublimes, ils n’auraient pas conquis le monde. Ce sont, au point de vue purement esthétique, des épopées bien supérieures à l’Iliade. Quelle odyssée vaut celle de Jésus ? Les Grecs et les Romains raffinés furent quelque temps avant de comprendre cette poésie simple et pourtant si colorée : ce ne fut qu’à la longue qu’ils en vinrent à admirer le style même de l’Écriture. Saint Jérôme, transporté en rêve aux pieds du souverain juge, entendait une voix menaçante lui crier : « Tu n’es qu’un Cicéronien ; » après ce rêve, saint Jérôme s’appliqua mieux à comprendre les beautés de la Bible et de l’Evangile, et finit par les préférer même aux périodes balancées du grand orateur latin. Il avait raison : le Sermon sur la montagne, malgré quelques incohérences (en partie du fait des disciples), est plus éloquent que le plus beau discours de Cicéron, et les invectives contre les Pharisiens (authentiques ou non) valent mieux que les apostrophes à Catilina. C’est, selon nous, tout à fait à tort que M. Havet se demande, en parlant de l’Évangile, comment « une grande révolution a pu naître de cette littérature médiocre. » Il y a quelque chose de tout nouveau dans la littérature évangélique, et qui ne se retrouve ni chez les Grecs ni dans l’Ancien Testament, c’est le sentiment de la tendresse ; il y a aussi un procédé nouveau de style, l’onction, qui vaut bien le lyrisme des prophètes ; c’est une morale populaire, à la fois profonde et naïve comme l’instinct, et où chaque parole nous fait