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l’irréligion de l’avenir.

l’unification des religions existantes : chacune se montre désormais impuissante à s’assimiler les autres. Non seulement les diverses confessions issues du christianisme se tiennent mutuellement en respect, mais il en est de même des grandes religions orientales. L’islamisme seul fait des progrès notables parmi les peuplades encore imbues de l’animisme primitif, et pour lesquelles il représente un évident progrès. Quant aux missionnaires chrétiens, ils n’ont jamais pu faire beaucoup de prosélytes, ni parmi les Musulmans, ni parmi les Boudhistes, ni parmi les Hindous. L’Hindou qui est arrivé à s’assimiler la science européenne en viendra nécessairement à douter du caractère révélé de sa religion nationale, mais il ne sera pas pour cela porté à croire que la révélation chrétienne soit plus vraie ; il cessera d’être proprement religieux pour devenir libre-penseur. Tous les peuples en arrivent là ; les principales grandes religions en sont venues à posséder une valeur approximativement égale comme symboles de l’inconnaissable, et l’on n’éprouve plus le besoin de passer de l’une dans l’autre : l’humanité, en général, n’aime pas le changement pour le changement. De plus, les missionnaires eux-mêmes manquent aujourd’hui de foi dans leur religion ; ils n’ont que l’enthousiasme sans le talent ou le talent sans l’enthousiasme, et l’on peut prévoir un moment où l’esprit de prosélytisme, qui a fait jusqu’ici la puissance des religions, les abandonnera. Peu de gens pourraient s’écrier comme ce jésuite incrédule et missionnaire : « Ah ! vous n’avez pas idée du plaisir qu’on goûte à persuader aux hommes ce qu’on ne croit pas soi-même. » Là où manque la foi absolue, s’attachant jusqu’aux moindres détails du dogme, manque la force essentielle de tout prosélytisme, celle de la sincérité. Un jour l’évêque Colenso, au Natal, fut interrogé par ses néophytes sur l’Ancien Testament ; après l’avoir poussé de questions en questions, on finit par lui demander sa parole d’honneur que tout cela était vrai. Pris d’un scrupule, l’évêque tomba dans une réflexion profonde, étudia la question, lut Strauss et les exégètes allemands, enfin publia un livre où il considère comme des mythes les histoires bibliques. À cet exemple célèbre de Colenso chez les Cafres, il faut ajouter ceux de M. Francis Newman en Syrie, du Rév. Adams dans l’Inde, d’autres encore moins connus. Pour combattre avec efficacité des religions aussi bien constituées que celle de l’Inde, par exemple nos missionnaires seraient forcés