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la religion et la fécondité des races.

Si le jeune homme de vingt ans qui va passer plusieurs années de sa vie à la Plata ou au Brésil se trouve en fait dispensé du service militaire, ne devrait-il pas l’être en droit lorsqu’il ira s’établir en Algérie, en Tunisie, au Tonkin, à Madagascar ? Les colons sont des soldats à leur manière : ils défendent eux aussi, en les élargissant, les frontières de la patrie ; ils devraient donc être considérés précisément comme des soldats par une loi vraiment conséquente. C’est avec raison que 54 chambres de commerce de nos principales villes, « considérant qu’il est du plus grand intérêt d’encourager, par tous les moyens, l’émigration des jeunes gens instruits et intelligents disposés à s’établir dans nos colonies,… » ont demandé « d’accorder en temps de paix, aux jeunes gens séjournant aux colonies, un sursis d’appel de cinq ans, sursis qui se transformerait en exemption définitive après un nouveau séjour de cinq années consécutives. » Nous croyons que ce laps de dix ans pourrait être raccourci, et qu’un séjour de sept ans aux colonies, de cinq ans même dans certaines colonies éloignées, comme le Tonkin, pourrait être infiniment plus profitable à la mère patrie qu’un séjour de trois ans sous les drapeaux[1]. Nous avons beaucoup moins besoin, pour garder nos colonies, de soldats que de colons : elles sont trop souvent « des colonies sans colons ». De plus, nous ne voyageons pas assez, nous ne connaissons pas assez nos propres possessions : quiconque y aura passé cinq années, parmi les plus belles et les plus actives de sa vie, sera tenté d’y revenir ou d’y envoyer ses amis et ses parents. Un amendement visant cette dispense du service militaire a déjà été discuté à la Chambre des députés, en mai et juin 1884. Ce simple amendement, s’il passait un jour, pourrait avoir une influence considérable sur les destinées de la race française[2].

  1. Il ne faut pas se figurer la durée minimum de séjour qu’exigerait la loi comme représentant la durée réelle : on ne revient pas de si loin comme on veut, à moins d’une fortune qui est chose rare ; mais le législateur doit tenir compte de l’effet psychologique d’un chiffre, et se dire qu’un émigrant ne part que rarement avec la notion exacte du temps qu’il restera. La plupart des Basques qui émigrent en si grand nombre pour l’Amérique s’imaginent revenir bientôt au pays natal ; les trois quarts ne tardent pas à devenir là-bas de bons citoyens de la république Argentine.
  2. Parmi les causes secondaires qui tendent à diminuer la natalité française et que la loi peut atteindre, signalons l’avortement, qui se pratique en France non moins largement qu’en Allemagne, mais qui a des conséquences bien pires à cause du peu d’enfants que la France produit. Paris a réussi à