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la religion et la fécondité des races.

nos sociétés modernes le capital sous sa forme massive, l’esprit religieux joint à l’esprit patriarcal avait trouvé, en imaginant le droit d’aînesse, un accommodement entre les nombreuses familles et le capital indivisible. Rétablir ce droit aujourd’hui chez les nations qui l’ont répudié, serait impraticable et injuste, reconnût-on que, sur ce point, les superstitions et les préjugés traditionnels n’étaient pas sans renfermer une certaine part de vérité. Mais, pour rassurer ceux qui redoutent le partage inévitable de leurs possessions territoriales, on pourrait atténuer les lois actuelles sur la réserve légale. Tout propriétaire d’un domaine territorial, d’une usine ou d’une maison de commerce pourrait rester libre de désigner celui de ses enfants qu’il considère comme le plus apte à lui succéder dans la possession de ces immeubles, et le partage légal s’effectuerait en respectant cette réserve créée par la volonté paternelle. — Ce serait une sorte de liberté de tester, restreinte à la famille. Les auteurs de notre Code civil ont brisé la lig’ne de succession des vieilles familles nobles ; on peut les approuver sur ce point, car ils ont forcé au morcellement un capital improductif et par là même ils l’ont rendu productif ; mais il est un autre point sur lequel on ne peut que les blâmer : c’est qu’ils ont rendu très difficile la transmission des grands établissements agricoles ou industriels. Ils ont morcelé ainsi des capitaux qui étaient beaucoup plus productifs à l’état massif pour ainsi dire ; grâce à eux, nous n’avons presque plus en France ces longues familles d’agriculteurs ou d’industriels qui, se transmettant de père en fils la même entreprise, pouvaient la porter à un plus haut point. Ce sont ces dynasties de commerçants ou de propriétaires qui ont fait la grandeur de l’Angleterre et de l’Allemagne. On n’improvise pas du jour au lendemain une maison de commerce ou un domaine agricole, et si, après votre mort, la nécessité du partage fait disparaître votre œuvre, c’est une perte sèche pour la patrie. On sait avec quelle force Le Play a peint le désespoir du cultivateur qui a constitué lentement un domaine, de l’industriel qui a créé une maison prospère, et qui sont menacés l’un et l’autre de voir leur œuvre anéantie s’ils se sont permis d’avoir de nombreux enfants. Ils n’ont qu’un souci : distraire de leur entreprise une quantité de valeurs mobilières suffisante pour que les enfants qui ne leur succéderont pas y trouvent cependant de quoi satisfaire à la réserve légale et ne