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dissolution des religions.

Cette fraternité fait qu’on se sépare à regret et que l’idéal du père est d’avoir assez peu d’enfants pour pouvoir les garder tous près de lui. Nous sommes trop affinés, trop en avant sur la nature pour subir sans déchirement cette rupture que la puberté amène naturellement dans la famille animale, l’envolée du jeune oiseau qui a des plumes ; nous n’avons pas la bravoure d’accepter ce déchirement, de le vouloir même comme une chose nécessaire et bonne. Cette affection a son côté égoïste, c’est par là qu’elle est stérile. Les parents élèvent un enfant moins pour lui que pour eux-mêmes.

Après avoir dégagé les causes principales qui, dans la famille française, restreignent le nombre des enfants, demandons-nous comment la loi et les mœurs pourraient réagir. Le système des réformes légales devrait porter avant tout sur ces principaux points : 1o réforme de la loi sur les devoirs filiaux (entretien et nourriture des parents) ; 2o réforme de la loi sur les successions ; 3o réforme de la loi militaire, dans le but de favoriser les familles nombreuses et de permettre l’émigration aux colonies françaises.

Élever des enfants étant une dépense considérable, il faudrait que cette dépense pût devenir pour les parents un profit possible, comme une sorte de placement à longue échéance. La loi peut y aider, et de diverses façons. Les législateurs français ont protégé les enfants contre la volonté du père en lui interdisant de les déshériter complètement ; il aurait fallu aussi mieux protéger le père contre l’ingratitude possible des enfants. Combien de fois arrive-t-il, à la campagne surtout, que de vieux parents, après avoir élevé à grand’peine une nombreuse génération, se voient à la charge de leurs fils ou de leurs beauxfils, mal nourris, accablés de gros mots. La loi dit que les enfants doivent la nourriture à leurs parents, sans doute ; mais il y a une nourriture donnée de telle façon que c’est presque un empoisonnement. La loi, qui s’est occupée à établir l’indépendance morale des fils par rapport aux pères, aurait pu établir mieux l’indépendance morale des parenis eux-mêmes. Si un père ne peut pas aujourd’hui dépouiller son fils, n’est-il pas choquant qu’un fils puisse dépouiller ses parents, prendre d’eux la vie, les aliments, l’éducation pour ne leur rendre qu’une hospitalité dérisoire, de mauvais propos, parfois des coups ? Parmi ceux qui ont habité au milieu du peuple et surtout dans les