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dissolution des religions.

jusqu’à présent qu’ils constituent une quantité négligeable. Plus la propriété en France se morcelle, plus il y a de petits patrons et de petits propriétaires, moins il y a d’enfants. Dès 1866, l’enquête agricole signalait l’invasion du malthusianisme et les progrès de l’infécondité calculée dans presque tous les départements, parallèlement au morcellement du sol. Depuis lors, le mouvement n’a fait que s’étendre. « Dans certaines communes les noms de frère et sœur ne sont presque plus en usage ; on remplace la primogéniture abolie en 1789 par l’unigéniture[1]. » Les ouvriers seuls sont en général restés antimalthusiens par insouciance. Un malthusien prêchait un ouvrier dans la misère, père de douze enfants et qui avait l’ambition d’arriver au treizième ; ce dernier lui répondit : « Que voulez-vous ? c’est le seul plaisir au monde que je puisse avoir gratis ; je ne veux rien en retrancher. »

On a soutenu que la restriction plus ou moins grande des naissances a pour cause essentielle non la plus ou moins grande religiosité des nations, mais simplement leur plus ou moins grande prévoyance : quiconque ne vit pas borné à l’instant présent et escompte l’avenir sera toujours porté à restreindre le nombre de ses enfants selon le chiffre de ses revenus. — Il y a beaucoup de vrai dans cette remarque. Cependant, là où la foi est sincère et rigide, elle ne se laisse pas entamer par des questions de prévoyance économique. Nous voyons en Bretagne la prévoyance la plus attentive ne nuire ni à la religion, ni à la fécondité. Les fiancés, sachant qu’ils auront des enfants après le mariage, se bornent à retarder leur union jusqu’au moment où ils auront constitué une économie, acheté une maison ou un lopin de terre. Dans le département d’Ille-et-Vilaine les hommes ne contractent mariage, en moyenne, qu’à l’âge de trente-quatre ans, les femmes à vingt-neuf ans. Le mariage, plus tardif, dure conséquemment moins en Bretagne qu’en Normandie : il est en moyenne de vingt-sept ans et demi dans cette dernière province et de vingt et un ans en Bretagne ; néanmoins la fécondité de la femme bretonne est, par rapport à celle de la femme normande, presque comme 100 est à 60. En Bretagne, le résultat de l’esprit religieux et de la prévoyance avant le mariage est un accroissement constant de la population ; en Normandie, l’effet de l’esprit d’incrédulité et de

  1. Toubeau, la Répartition des impôts, t, II.