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introduction.

siste-t-il pas précisément à restreindre pour l’humanité le nombre de ces erreurs utiles ? il y a dans les races des organes qui, en devenant superflus avec le temps, ont disparu ou se sont profondément altérés (tels sont les muscles qui servaient sans doute à nos ancêtres pour remuer les oreilles). Il existe évidemment aussi dans l’esprit humain des instincts, des sentiments et des croyances correspondantes qui se sont déjà atrophiés, d’autres qui sont destinés à disparaître ou à se transformer. Ce n’est pas montrer la nécessité et l’éternité de la religion que de montrer ses profondes racines dans l’esprit humain, car l’esprit humain se transforme incessamment. « Nos pères, disait Fontenelle, en se trompant, nous ont épargné leurs erreurs ; » en effet, avant d’arriver à la vérité, il faut bien essayer un certain nombre d’hypothèses fausses : découvrir le vrai, c’est avoir épuisé l’erreur. Les religions ont rendu à l’esprit humain cet immense service, d’épuiser tout un ordre de recherches à côté de la science, de la métaphysique, de la morale : il fallait passer par le merveilleux pour arriver au naturel, par la révélation directe ou l’intuition mystique pour s’en tenir enfin à l’induction et à la déduction rationnelles. Toutes les idées fantastiques et apocalyptiques dont la religion a peuplé l’esprit humain ont donc eu leur utilité, comme les ébauches inachevées et souvent bizarres dont sont remplis les ateliers des artistes ou des mécaniciens. Ces égarements de la pensée étaient des sortes de reconnaissances, et tout ce jeu de l’imagination constituait un véritable tra-