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la religion et la fécondité des races.

mes, le nombre des individus était la condition même de la force et conséquomment de la sécurité. La puissance du capital, qui peut se concentrer dans une seule main, n’existait pour ainsi dire pas. De nos jours, le capital est devenu une puissance qui se suffit à elle-même et qu’on affaiblit souvent en l’éparpillant entre trop de mains. De là ce raisonnement des pères de famille d’aujourd’hui, tout contraire à celui des pères d’autrefois : « pour rendre une famille puissante, il me suffira de transmettre le capital que j’ai amassé en le divisant le moins possible, c’est-à-dire de diminuer le plus possible ma famille même. » Le capital, sous sa forme égoïste, est donc ennemi de la population, parce qu’il est ennemi du partage et que la multiplication des hommes est toujours plus ou moins une division de la richesse.

Pour contrebalancer cette puissance toute moderne, le capital, il y avait eu jusqu’alors la religion. Les religions chrétienne, hindoue ou mahométane, correspondent à un état de choses tout différent de l’état moderne, à une société où le nombre était la grande force, où les nombreuses familles étaient d’une utilité immédiate et visible. Aussi la plupart des grandes religions s’accordent-elles dans le précepte : « Croissez et multipliez. » Selon les lois de Manou, c’est une des conditions de salut qu’une nombreuse descendance mâle. Quant aux Juifs, on connaît sur ce point leur double tradition religieuse et nationale. Toute religion d’origine juive étant favorable à l’accroissement de la famille et défendant expressément la fraude dans les rapports conjugaux, il s’ensuit que, avec les mêmes conditions de bien-être, un peuple sincèrement chrétien ou juif se multipliera plus vite qu’un peuple libre-penseur. L’infécondité des races supérieures, outre qu’elle résulte ainsi en partie de l’opposition entre la religion et l’esprit moderne, est aussi la conséquence d’une sorte d’antinomie entre la civilisation d’une race et sa propagation ; il n’est pas une civilisation hâtive qui ne soit accompagnée d’une certaine corruption proportionnelle. Il faut remédier à cette antinomie sous peine de périr. La vie est d’autant plus intense chez un peuple, qu’il est composé pour une majeure partie de générations plus jeunes, avides de vivre et de se faire une place au soleil ; la lutte pour l’existence est d’autant plus féconde qu’elle se produit entre des jeunes gens, non entre des hommes fatigués qui n’ont plus l’enthousiasme du travail : une nation plus