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la religion et l’irréligion chez la femme.

revinrent en foule. Si Dieu était quelque part, il devait être là, et de nouveau je rouvris le livre saint, ce livre qui a été si souvent une tentation pour l’humanité. Après tout, j’avais adoré jusqu’ici le Christ beaucoup plus que le « dieu des armées. » Mais je connaissais surtout l’Évangile de saint Jean, dont l’authenticité, je l’avais appris, était si contestable. Je relus tous les Évangiles d’un bout à l’autre. Même dans saint Jean je ne retrouvai plus l’homme-type et sans reproche, le dieu incarné, le Verbe divin : au milieu de sublimes beautés je constatais moi-même les contradictions sans nombre, les naïvetés, les superstitions, les défaillances morales. Désormais mes croyances n’existaient plus : j’étais trahie par mon dieu. Toute ma vie intellectuelle d’autrefois ne m’apparaissait plus que comme un rêve. Ce rêve avait pourtant ses beaux côtés ; je regrette parfois, aujourd’hui encore, tant d’impressions très douces et consolantes qu’il m’a données et que je ne pourrai plus ravoir. Toutefois, je le dis en toute sincérité, si j’étais libre de me rendormir du sommeil intellectuel d’autrefois, d’oublier ce que j’ai appris, de revenir me bercer aux mêmes erreurs, pour rien au monde je n’y consentirais ; je ne referais point un pas en arrière. Jamais le souvenir de certaines illusions perdues n’a ébranlé la série de raisonnements par lesquels j’en étais venue à les perdre. Le réel, lorsqu’on est arrivé une fois à le toucher, étreint l’âme par sa seule force et maintient l’imagination, parfois douloureusement, dans la voie droite. La dernière chose à laquelle un être humain puisse consentir de gaieté de cœur, c’est à se tromper. »