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dissolution des religions.

mes paroles rejaillissaient loin d’elle comme si elles fussent tombées sur une statue de marbre. — « J’essaierai du mariage, dit une héroïne de Shakespeare, pour exercer ma patience. » Si la patience est en effet dans le ménage la grande vertu féminine, la vertu de l’homme doit être la persévérance, l’obstination active de celui qui veut façonner et créer, qui a son but et veut l’atteindre. J’ai interrogé une femme qui s’était mariée à un libre-penseur avec l’intention secrète de convertir son mari ; le résultat contraire se produisit, et voici, telles qu’elle me les a racontées en propres termes, les péripéties de cette crise morale. Ce n’est qu’un exemple isolé, mais cet exemple peut éclairer sur le caractère de la femme et sur la plus ou moins grande facilité avec laquelle son esprit s’ouvre aux idées scientifiques ou philosophiques.

— « Le double but de toute chrétienne est celui-ci : sauver les âmes, sauver son âme. Aider le Christ à ramener au bercail les brebis égarées est le grand rêve, et, d’autre part, se garder soi-même est la préoccupation constante. Quand vint le moment pour moi d’essayer mes forces et de compter sur elles, une vive inquiétude me prit : — Amènerai-je sûrement à moi celui qui ne croit pas et à qui je vais unir ma vie, ou bien m’attirera-t-il à lui ? Grande est la puissance du mal ; qui s’expose à la tentation périra. Mais si l’esprit du mal est puissant. Dieu, me dis-je, l’est plus encore, et Dieu n’abandonne jamais qui se confie en lui. Et j’eus confiance en Dieu. Convaincre des incrédules qui ont raisonné leur incrédulité n’était pas petite besogne ; aussi n’espérais-je point le faire en un jour. Mon plan de conduite était celui-ci : rester fidèle au milieu des infidèles, immuable et confiante dans ma religion, qui est celle des humbles, des simples et des ignorants ; faire le bien le plus possible, pour témoigner que c’est son premier commandement ; l’observer en silence, mais en plein jour pourtant ; la rendre enfin familière au foyer, afin que discrète, enveloppante, ce fût un combat lent et sourd de toutes les heures, de toute une vie. Après, il y avait l’immense miséricorde de celui qui peut tout.

« Dans ces dispositions d’esprit, je n’eus pas de peine à demeurer muette et impassible toutes les fois que mon mari s’attaqua à mes croyances : la première chose à prouver était l’inutilité de toute discussion, la fermeté de ma foi. D’ailleurs, pouvais-je répondre, il savait tant de choses, lui, et moi si peu. Ah ! si j’avais été un docteur en théolo-