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dissolution des religions.

dances mystiques. Si une action lui est accordée sur la société, elle l’exercera sans doute dans le sens de la philanthropie ; or, la pitié sociale est un des plus puissants dérivatifs de la mysticité. Même parmi les ordres religieux, on remarquera combien ceux qui ont la philantropie pour but suscitent, chez leurs membres, une dévotion moins exaltée que ceux qui s’en tiennent à la contemplation stérile des cloîtres.

Si le sentiment mystique n’est point vraiment une chose plus essentielle à la femme qu’à l’homme, peut-on soutenir du moins que le sentiment moral, chez elle, ne trouve son appui que dans la religion ? La femme a-t-elle une force morale moindre que l’homme et est-ce surtout dans des idées religieuses qu’elle puise cette force dont elle a besoin pour elle et pour autrui ? — Une mesure assez exacte de la force intérieure, c’est la résistance à la douleur physique ou morale ; or la femme montre, dans la maternité avec toutes ses conséquences, dans la grossesse, dans l’enfantement, dans l’allaitement accompagné de veilles et de soins continuels, une résistance à la douleur physique peut-être plus grande que celle de l’homme moyen. De même pour la résistance à la douleur morale. Bien des tristesses peuvent accompagner le point égal d’une aiguille de femme, mais le grand facteur de la force morale chez la femme, c’est l’amour et la pitié. En agrandissant la sphère de son intelligence, on ne pourra qu’élargir le champ où s’exerce déjà cette faculté d’aimer et d’alléger tout, qui est développée chez elle à un si haut point. Le véritable remède à toute souffrance est d’augmenter l’activité de l’esprit, ce qu’on fait en augmentant l’instruction. Agir empêche toujours de souffrir. De là la puissance de la charité pour calmer la souffrance personnelle, quia toujours une couleur un peu égoïste. Le meilleur moyen de se consoler soi-même, pour la femme comme pour l’homme, ce sera toujours de soulager autrui : l’espérance renaît dans le cœur qui la donne aux autres. Les douleurs s’adoucissent lorsqu’elles deviennent fécondes en bienfaits, car toute fécondité est un apaisement.

Enfin, par compensation, il y a d’autres points sur lesquels la femme souffrirait peut-être moins que l’homme de la disparition des croyances religieuses. De l’homme et de la femme, c’est celle-ci qui vit le plus dans le présent : elle a de la nature de l’oiseau qui secoue son aile et oublie la tempête au moment où elle vient de passer. La femme rit aussi facilement qu’elle pleure, et son rire a bientôt séché ses