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la religion et l’irréligion chez la femme.

mes à l’excitation religieuse[1]. — On peut répondre que les plus grands mystiques, après tout, n’ont point été des femmes : les sainte Thérèse sont beaucoup moins nombreuses que les Plotin (qui a le premier donné au mot ἒϰστασις son sens actuel), les Porphyre, les Jamblique, les Denys l’Aréopagite, les saint Bonaventure, les Gerson, les Richard de Saint-Victor, les Eckart, les Tauler, les Swedenborg. La mysticité se développe en proportion du rétrécissement de l’activité. C’est une des raisons pour lesquelles la vie de la femme, moins active que celle de l’homme, donne plus de part aux élans mystiques et aux exercices de piété. Mais l’action guérit de la contemplation, surtout de la contemplation vide et vaine, à laquelle peuvent seuls se plaire les esprits moyens et ignorants. Aussi la religiosité féminine diminuera-t-elle dans la proportion où l’on ouvrira pour son esprit un champ plus vaste d’activité, en lui donnant une instruction intellectuelle et esthétique, en l’intéressant à toutes les questions humaines et à toutes les réalités de ce monde. On est allé jusqu’à vouloir rendre la vie politique accessible à la femme, pour lui restituer des droits qui lui ont été déniés jusqu’alors. M. Secrétan a soutenu récemment cette cause, déjà défendue par Stuart Mill. Ce serait là aujourd’hui placer directement toutes les affaires politiques dans la main du prêtre, qui, lui-même, tient la femme. Mais lorsque se produira par degré l’émancipation religieuse de la femme, il est possible qu’une certaine émancipation politique en soit la conséquence. En tous cas, son émancipation civile n’est qu’une affaire de temps. L’accession de la femme au droit civil commun est une conséquence nécessaire des idées démocratiques. Lorsqu’elle sera forcée ainsi de s’occuper plus activement des affaires de ce monde, cet emploi nouveau de son activité la protégera de plus en plus contre les ten-

  1. Sir Rutherford Alcock nous dit aussi qu’au Japon « il est fort rare de voir dans les temples d’autres fidèles que des femmes et des enfants ; les hommes qu’on y rencontre, toujours extrêmement peu nombreux, appartiennent aux basses classes. » On a compilé que « les 5/6 au moins, et souvent les 9/10 » des pèlerins qui se rendent au temple de Jaggernaut, sont des femmes. On raconte aussi que chez les Sikhs, les femmes croient à plus de dieux que les hommes. Tous ces exemples empruntés à des races et à des époques différentes, montrent suffisamment, selon Spencer, que, lorsque nous retrouvons un fait analogue dans les pays catholiques et même, dans une certaine mesure, en Angleterre, il ne faut pas l’attribuer uniquement à l’éducation des femmes : « la cause est plus au fond, dans la nature. » (V. Spencer, la Science sociale, p. 408).