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dissolution des religions.

devons chercher seulement si, dans les limites de son étendue, l’esprit de la femme lui impose la religiosité et même la superstition. Ceux qui soutiennent que la femme est, en quelque sorte, condamnée à l’erreur, s’appuient sur les traits essentiels de son caractère ; examinons donc avec eux, d’abord la nature propre de son intelligence, puis celle de sa sensibilité. — Les femmes, dit-on d’abord, ont l’esprit moins abstrait que les hommes ; elles ont plus de goût pour tout ce qui frappe les sens et l’imagination, pour ce qui est beau, voyant, coloré : de là leur besoin de mythes, de symboles, de culte, de rites parlant aux yeux. — Nous répondrons que ce besoin n’a rien d’absolu : les femmes protestantes ne se contentent-elles pas d’un culte qui ne parle pas aux sens ? D’autre part un esprit imaginatif n’est pas nécessairement un esprit superstitieux. La superstition est une affaire d’éducation, non de nature ; il y a une certaine maturité d’esprit à partir de laquelle on ne devient plus superstitieux. J’ai connu plusieurs femmes qui n’avaient pas une seule superstition et qui étaient incapables d’en acquérir ; rien sous ce rapport ne distinguait leur intelligence de l’intelligence virile : l’ordre des phénomènes, une fois bien saisi par l’esprit humain, y subsiste ensuite par sa propre force, sans secours étranger, le réel étant encore ce qu’il y a de plus solide.

Un second trait de l’intelligence féminine, que l’on a

    le monde extérieur. En Orient et en Grèce, chez les peuples d’où nous vient notre civilisation, la femme (au moins celle de condition aisée et distinguée), fut précisément toujours réduite à un rôle subalterne, enfermée dans le gynécée ou soustraite à tout contact direct avec le monde réel. De là une sorte de tradition d’ignorance et d’abaissement intellectuel qui s’est propagée jusqu’à nous. Il n’y a rien de tel, aujourd’hui, qu’un cerveau de petite fille, élevée à l’ombre paternelle et maternelle, pour recueillir, sans en rien perdre, tout le résidu de la sottise bourgeoise, des préjugés naïfs et orgueilleux d’eux-mêmes, de l’ignorance s’étalant sans avoir conscience de soi, enfin des superstitions s’érigeant en règle de conduite. Mais changez l’éducation, et vous changerez en grande partie ces résultats. D’après la théorie même de Darwin, ce que l’hérédité et l’éducation ont fait, elles peuvent aussi le défaire à la longue. Quand même il resterait des différences générales d’intelligence en faveur du sexe masculin, et que la femme demeurât, comme le lui reproche Darwin, incapable de pousser l’invention aussi loin que l’homme, il n’en résulterait pas qu’on dût remplir l’intelligence et le cœur de la femme avec des idées et des sentiments d’un autre ordre que ceux de l’homme. Autre chose est d’inventer et d’agrandir le domaine de la science, autre chose est de s’assimiler des connaissances déjà acquises ; autre chose est d’élargir l’horizon intellectuel, autre chose est d’adaptor, dès sa naissance, ses yeux et son cœur à cet horizon déjà ouvert.