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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

tellectuelle de l’enfant que de lui dire : — Voilà ce que je crois, et voici les raisons pour lesquelles je le crois ; j’ai peut-être tort ; ta mère ou telle autre personne croit autre chose, et elle a aussi pour le croire certaines raisons, bonnes ou mauvaises. — L’enfant acquiert ainsi cette chose si rare, la tolérance. Le respect qu’il a pour ses parents s’attache aux doctrines diverses qu’il leur voit professer, et il apprend dès sa jeunesse que toute croyance sincère et raisonnée est au plus haut titre respectable. Je tonnais très intimement un enfant qui a été élevé d’après cette méthode, et il n’a jamais eu qu’à se louer de l’éducation qu’il a reçue. Ni sur la destinée humaine, ni sur la destinée du monde, on ne lui a jamais présenté aucune opinion qui ressemblât à un article de foi ; au lieu des certitudes de la religion, on ne lui a parlé que des possibilités, des probabilités de la métaphysique. Vers l’âge de treize ans et demi, le problème de la destinée se posa brusquement devant lui : la mort d’un vieux parent qui lui était bien cher le fit songer plus qu’on ne songe d’habitude à cet âge ; mais ses croyances philosophiques lui suffirent pleinement. Elles lui suffisent encore, quoiqu’il ait vu pour son propre compte, et à plusieurs reprises, la mort de très près. Je cite cet exemple comme une expérience humaine et personnelle qui a son importance dans la question.

En somme, comment parler de la mort à un enfant ? Je réponds hardiment : — Comme on en parlerait à une grande personne, sauf la différence du langage abstrait et du langage concret. Je suppose naturellement l’enfant déjà à demi-raisonnable, ayant plus de dix ans, capable de penser à autre chose qu’à sa toupie ou à sa poupée ; je crois qu’alors il faut déjà employer à son égard un langage viril, lui enseigner ce qui nous semble à nous-mêmes le plus probable sur ces terribles questions. Le libre-penseur qui penche vers les doctrines naiuraustes dira à son fils ou à sa fille que, pour lui, la mort est sans doute une dispersion de l’être, un retour à la vie sourde de la nature, un[1]

  1. tous les jours à l’église que ceux qui ne pratiquent pas leurs devoirs religieux iront dans l’enfer : l’enfant fait donc ce raisonnement que, si son père meurt, il ne le verra plus, à moins d’aller en enfer avec lui, et encore, dans ce dernier cas, il ne reverrait plus sa mère. Une croyance pleine et entière dans l’anéantissement serait moins douloureuse et moins troublante que cette croyance dans la daninaiion élernelle. — Ajoutons que, sous ce rapport, beaucoup de pasteurs protestants. surtout en Angleterre et aux États-Unis, ne sont pas moins intolérants que les prêtres catholiques.