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dissolution des religions.

qu’elle n’eût pas éprouvé beaucoup plus de difficulté à résoudre un problème de métaphysique. Je me rappelle, pour mon compte, avoir suivi à l’âge de huit ans une discussion sur l’immortalité de l’âme ; je donnai même intérieurement mon assentiment à celui qui soutenait la cause de l’immortalité. Notre système d’éducation est rempli de ces contradictions qui consistent, d’une part, à faire entrer mécaniquement dans l’esprit de l’enfant des choses qu’il ne peut comprendre, et, d’autre part, à écarter son intelligence des sujets qu’elle peut aborder. — « Mais, objectera M. Ménard, il ne faut pas que l’enfant puisse opposer la croyance de son père à celle de sa mère ou de sa grand’mère. » — Et quel inconvénient y a-t-il à cela ? N’est-ce pas nécessairement ce qui arrive tous les jours ? Sur toutes choses, il y a sans cesse au sein de la famille de petits désaccords, des discussions passagères, qui n’empêchent nullement la bonne harmonie ; peut-il en être autrement quand il s’agit des questions les plus importantes et les plus incertaines ? — Mais l’enfant perd ainsi le respect de ses parents. — Certes, il vaudrait beaucoup mieux pour lui perdre quelque chose de ce respect que de croire toujours ses parents sur parole, même quand ils se trompent. Par bonheur, le respect des parents n’est pas du tout la même chose que la croyance en leur infaillibilité. L’enfant fait de bonne heure usage de son libre examen ; on peut lui apprendre à dégager la vérité des affirmations plus ou moins contradictoires en présence desquelles il se trouve : on peut éveiller son jugement, au lieu d’essayer de lui en donner un tout fait. L’essentiel est d’éviter de passionner son esprit, de le fanatiser. L’enfant a besoin de calme pour que ses facultés se développent en bonne harmonie ; c’est une plante délicate qui ne doit pas être exposée trop vite aux coups de vent et à la tempête : il ne s’ensuit pas qu’on doive la tenir dans l’obscurité ou même dans la demi-lumière des légendes religieuses. Pour épargner à l’enfant le trouble de la passion et du fanatisme, le seul moyen est précisément de le placer en dehors de toute religion convenue, de l’habituer à examiner les choses froidement, philosophiquement, à prendre les problèmes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire pour de simples problèmes à solutions ambiguës[1]. Rien de mieux pour éveiller la spontanéité in-

  1. Parmi les plus grandes causes de trouble pour l’enfant, signalons la suivante : son père est libre-penseur, sa mère catholique ; il entend dire