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dissolution des religions.

dans la solitaire et obscure forêt où il est né, sous les perspectives infinies des grands dômes de feuillage ; un enfant de la ville qu’on y transporte s’y croit perdu et se met à pleurer. Cette forêt, c’est le monde de la science, avec ses dédales d’ombre, son étendue illimitée, avec les obstacles sans nombre qui barrent le passage et qu’on n’abat qu’un à un : celui qui y est né n’en a plus peur, il y vit heureux. Il faut se résoudre hardiment à être les fils des bûcherons.


De tous les problèmes d’éducation touchant la métaphysique religieuse, le plus intéressant, sans contredit, est le suivant : — Comment parler à l’enfant de la mort et de la destinée humaine ? Faut-il, en traitant ces questions devant lui, employer une méthode rationnelle et vraiment philosophique ? vaut-il mieux invoquer des dogmes ? enfin, est-il indifférent de lui dire la première chose venue, la première légende naïve qui vient à l’esprit ? — Ce problème a été posé dans la Critique philosophique par M. Louis Ménard, qui imaginait un enfant venant de perdre sa mère et posant à son père des interrogations. C’est là une façon ingénieuse, mais spécieuse de poser le problème. Lorsqu’un très jeune enfant perd sa mère, nous croyons que le premier devoir de son père est de le consoler et d’épargner à son organisme trop tendre des émotions trop fortes. Il y a là une question d’hygiène morale où la philosophie et la religion n’ont rien à voir, où l’âge et le tempérament sont la seule chose à considérer. La vérité n’a pas une égale valeur dans toutes les heures de la vie : on n’annonce pas brusquement à quelqu’un que sa femme vient de mourir ; encore moins le matérialiste le plus convaincu s’aviserat-il d’affirmer à un enfant nerveux qu’il ne reverra plus jamais sa mère. D’ailleurs, le matérialiste en question aurait toujours tort d’émettre une affirmation si catégorique sur des choses où il ne peut y avoir que des probabilités ; la façon de tromper la plus dangereuse est de présenter comme une certitude reconnue ce qui n’en est pas une. En tous cas, il est une forme subjective de l’immortalité, le souvenir ; cette immortalité-là, nous pouvons la faire nous-mêmes, l’incruster pour ainsi dire dans l’esprit de l’enfant[1]. Le père ne doit pas cesser de parler de la mère

  1. « Le souvenir, c’est l’affliction, sans doute, — pour l’homme bien plus que pour l’enfant, — mais c’est aussi la consolation. La culture du souvenir fournit de puissants moyens d’éducation morale pour tous les