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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

leurs figures historiques ou légendaires, les belles sentences morales qu’on leur attribue. Quel inconvénient pourrait-il y avoir à ce que de belles paroles de Confucius, de Zoroastre, de Bouddha, de Socrate, de Platon ou d’Aristote, traversant les âges, vinssent donner à nos générations quelque idée de ce qu’était la pensée humaine avant Jésus ? On ne peut pas couper d’un seul coup l’arbre merveilleux aux antiques légendes, mais on peut, — ce qui aboutit au même résultat et est moins dangereux, — montrer d’où lui vient sa sève, et qu’il est fait comme tous les autres arbres de la forêt, et qu’il est plus jeune qu’eux, etquesesbranches ne lesdépassent pas toujours cnhauteur.

Toute église n’a que deux moyens de propager ses dogmes chez les enfants ; c’est d’abord le vieil argument de toute autorité paternelle ou ecclésiastique : cela est comme je le dis, puisque je le dis ; c’est ensuite le témoignage des miracles. Les prêtres en sont encore là auprès des enfants et auprès des peuples. Ils perdent toute leur force si on les tire de ce cercle d’idées. Or, pour ébranler ces deux arguments, il suffit de montrer : 1o que d’autres hommes ont dit d’autres choses que l’église chrétienne, 2o qu’il y a eu d’autres miracles suscités par la volonté d’autres dieux, ou en d’autres termes qu’il n’y a eu aucun miracle constaté scientifiquement. Un certain nombre d’écoles françaises avaient été fondées en Kabylie et réussissaient ; peu après, par degrés, elles furent abandonnées. En inspectant l’une d’elles, devenue déserte, on y retrouva les derniers devoirs des élèves : c’était une narration sur Frédégonde. C’est ainsi qu’on comprend l’histoire dans notre enseignement classique : — des faits, des faits souvent monstrueux et immoraux ; non contents de les enseigner aux jeunes Français, nous allons les exporter jusqu’en Kabylie ! D’idées, point. Mieux eût valu pourtant enseigner à l’enfant algérien ce que nous savons sur Mahomet et ses idées religieuses, sur Jésus et sur les autres prophètes dont Mahomet lui-même admettait l’inspiration divine. La moindre trace laissée dans son esprit encore sauvage par un enseignement vraiment rationnel eût été plus utile que la collection de faits absurde qu’on y a entassée. Au fond, même pour un enfant français, Mahomet ou Bouddha sont plus importants à connaître que Frédégonde : quoiqu’ils n’aient jamais vécu sur le sol français ou gaulois, ils agissent infiniment plus sur nous et nous sommes beaucoup plus solidaires d’eux que de Chilpéric ou de Lothaire.