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la religion et l’irréligion chez l’enfant.

de campagne s’occupent de botanique, de minéralogie, d’autres de musique ; il y a dans les rangs du clergé une quantité considérable de force vive stérilisée faute d’une éducation première suffisante, faute d’initiative, faute des habitudes de liberté. Les libres-penseurs, au lieu de chercher à séparer l’Église de l’État par une opération chirurgicale qui n’est rien moins qu’une guérison, pourraient s’appuyer sur le Concordat, profiter de ce que l’État a entre ses mains le traitement du clergé pour agir sur ce grand corps engourdi et chercher à le réveiller. En sociologie comme en mécanique, il ne faut pas toujours essayer de briser les forces qui font obstacle à la marche en avant ; il faut savoir se servir d’elles. Tout ce qui est, est utile dans une certaine mesure ; par cela même que l’éducation donnée par le clergé subsiste encore, on peut affirmer qu’elle joue encore un certain rôle dans l’équilibre social, fût-ce un rôle passif, un rôle de contrepoids. Seulement tout ce qui a un certain degré d’utilité peut acquérir un degré supérieur, tout ce qui est peut se transformer. Il faut donc chercher non à détruire le prêtre, mais à transformer son esprit, à lui donner des occupations théoriques ou pratiques autres, par exemple, que l’occupation mécanique du bréviaire. Entre la religion littérale, qu’enseigne seule encore la majorité du clergé français, et l’absence de religion positive qui est, croyons-nous, l’idéal national et humain, il existe des degrés innombrables qui ne peuvent se franchir que graduellement, par une lente élévation de l’esprit, par un élargissement presque insensible de l’horizon intellectuel. En attendant que le prêtre franchisse ces degrés successifs et en vienne à entrevoir sa propre inutilité, il est bon qu’il se rende utile dans la mesure oùilcroit pouvoir l’être encore : on ne doit exiger qu’une chose, c’est qu’il ne se rende pas nuisible en sortant des limites de son droit.


II. — L’ÉDUCATION DONNÉE PAR L’ÉTAT


La tâche de l’État qui substituera de plus en plus l’éducation laïque à celle du clergé, va croissant en importance L’État doit sans doute rester neutre entre toutes les confessions religieuses ; mais, comme on l’a remarqué[1], il y

  1. M. Goblet d’Alviella.