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dissolution des religions.

voqué dans les universités de théologie protestante, un travail d’exégèse qui aboutit à la formation d’une science nouvelle, la science des relisions. Les pasteurs, plus instruits que nos prêtres catholiques, ont en outre une famille, des enfants, une vie semblable à celle de tous les citoyens ; ils sont nationaux, parce que leur église est une église nationale ; ils n’obéissent pas à un mot d’ordre venu de l’étranger ; de plus ils n’ont pas dans leurs mains le terrible pouvoir que le prêtre catholique doit au confessionnal, pouvoir qui a coûté à la France la révocation de l’Édit de Nantes et tant d’autres mesures déplorables[1].

Ces divers avantages du protestantisme sont si incontestables que, s’il fallait absolument choisir entre deux religions, on ne saurait hésiter entre la foi protestante et la foi catholique. Mais un tel choix n’est pas nécessaire, et l’on peut briser les cornes du dilemme. La libre-pensée a encore plus besoin de l’instruction et elle est plus propre à la favoriser que le protestantisme, puisqu’elle repose sur l’instruction même ; elle a plus besoin encore de la liberté dans l’ordre pratique, par cela même qu’elle est la complète liberté dans l’ordre théorique ; enfin elle supprime le clergé, ou plutôt, pour redonner à un mot du moyen âge le sens large qu’il a eu si longtemps, elle remplace le prêtre par le clerc, c’est-à-dire par le savant, le professeur, le lettré, l’homme instruit, à quelque état qu’il appartienne. Le mot le plus juste sur la question du protestantisme en France a été dit par M. de Narbonne, causant avec Napoléon : « Il n’y a pas assez de religion en France pour en faire deux. » Au lieu d’une religion nationale, nous avons en France une sorte d’irréligion nationale : c’est là même ce qui constitue notre originalité au milieu des autres peuples. En France, les deux tiers au moins de la population mas-

    mouvement d’impatience et avait proféré des paroles irrévérencieuses envers Dieu. Procès-verbal fut aussitôt dressé contre lui. Il comparut devant les juges, qui le condamnèrent, pour blasphème, à deux jours de prison. On est étonné de voir la Suisse ramenée ainsi aux coutumes du moyen âge par son vieux fonds de protestantisme.

  1. « Par le confessionnal, dit M. de Laveleye, le prêtre tient le souverain, les magistrats ei les électeurs, et par les électeurs les Chambres. Tant que le prêtre dispose des sacrements, la séparation de l’Église et de l’État n’est donc qu’une dangereuse illusion… L’absolue soumission de toute la hiérarchie ecclésiastique à une volonté unique, le célibat des prêtres et la multiplication des ordres monastiques, constituent pour les pays catholiques un danger que ne connaissent pas les pays protestants. »