Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
le protestantisme est-il une transition nécessaire ?

devaient réaliser cet idéal que par delà les mers, dans la Constitution américaine, qui marque en quelque sorte l’épanouissement des idées calvinistes. Dès 1633, un américain, Roger Williams, réclame la liberté pour tous et pailiculièrement la liberté religieuse ; il revendique h, complète égalité des cultes devant la loi civile, et sur ces principes il fonde la « démocratie » de Rhode Island et la ville de Providence. Les États-Unis, avec l’autonomie lies provinces et la décentralisation, sont encore aujourd’hui le type de l’État protestant. Dans un tel État la liberté la plus grande existe, mais, à vrai dire, cette liberté se meut surtout au sein du christianisme : les fondateurs de la Constitution américaine n’avaient guère prévu le jour où on aurait besoin de sortir des limites de la foi chrétienne la plus large. Aussi serait-ce se faire des États-Unis une idée très fausse que de s’y représenter le pouvoir civil comme tout à fait étranger à la religion. La séparation de l’État et des églises est loin d’être aussi absolue chez les Américains qu’on se plaît souvent à nous le dire, et, sur ce point, M. Goblet d’Alviella corrige très justement les affirmations trop enthousiastes de Guizot et de M. de Laveleye[1].

Enfin, à la supériorité politique du protestantisme il faut ajouter la supériorité inteliectuelle et morale de son clergé. La nécessité de lire et d’interpréter la Bible a pro-

  1. « Les institutions publiques sont encore fort imprégnées de christianisme. Le Congrès et les législatures d’État ont leurs chapelains, ainsi que la Hotte, l’armée et les prisons. On continue à lire la Bible dans un grand nombre d’écoles. L’invocation à la divinité est généralement obligatoire dans le serment judiciaire et même administratif. En Pensylvanie, la Constitution exige de quiconque veut remplir un emploi public la croyance à Dieu et aux rémunérations de la vie future. La Constitution du Maryland n’accorde la liberté de conscience qu’aux déistes. Ailleurs, les lois sur le blasphème n’ont jamais été formellement abrogées. Dans certains États, les tribunaux prêtent la main plus ou moins indirectement à l’observation du repos dominical. En 1880, une cour a décliné de reconnaître, même comme obligation naturelle, une dette contractée le dimanche, et un voyageur, blessé dans un accident de chemin de fer, s’est vu refuser des dommages-intérêts par ce considérant qu’il n’avait pas à prendre le train un jour du Seigneur. Enfin, les biens-fonds affectés au service du culte sont, dans une large proportion, soustraits à tout impôt. » (M. Goblet d’Alviella, Évolution religieuse, p. 233.)

    De même, en Suisse, au mois de février 1886, le tribunal criminel de Glaris, chef-lieu de canton de 7000 habitants, à 130 kilomètres de Berne, rendait un curieux jugement. Un manœuvre, nommé Jacques Schiesser, occupé à travailler dans l’eau par une température excessivement froide, grelottant, les mains bleuies, s’était emporté contre la température dans un